Interview pop avec Victoria Mas, romancière du « Bal des Folles »
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Fraîchement récompensée du Prix Renaudot des Lycéens, Victoria Mas rencontre pour son premier roman Le Bal des Folles un succès critique et public qui ne semble plus vouloir s’arrêter. Elle a pris le temps de répondre à nos questions avec toute la fraîcheur qui la caractérise.
On rencontre Victoria lors de la soirée de lancement de la plateforme pour les créatifs, EasyClap : grande veste cintrée, sourire en coin, présence délicate qui trahit déjà l’intelligence de son écriture. Sur le moment, on ne sait rien de son livre à part les louanges qu’on nous en a faites. Pour un esprit bourré de contradictions, celles-là mêmes créent la défiance quand les critiques façonnent l’intérêt. Mais c’est en feuilletant le soir même les premières pages de son roman que l’on bascule dans la Salpêtrière du XIXème siècle, pour ne plus en ressortir. Alors asile pour femmes, on y découvre un étrange bal costumé où se croisent le tout-Paris et des internées, sous l’égide du maître des lieux et père de la neurologie, le Docteur Charcot.
L’éditeur Albin Michel a augmenté le tirage de 6,000 à 40,000 exemplaires face au succès
Après quatre premiers manuscrits refusés, ce cadre unique de la Salpêtrière est un cadeau tombé du ciel pour Victoria. Son style limpide et sa construction adroite nous propulsent dans les préparatifs du bal, côtoyant le quotidien de femmes exclues et rejetées par une société qui ne veut plus les voir. Par son réalisme historique, ses incursions dans le fantastique et son ambition humaine, l’écrivaine nous possède de personnages réels et imaginaires, aussi fugaces et inoubliables qu’une rencontre mondaine. Victoria a une présence que l’on n’oublie pas, son premier roman Le Bal des Folles encore moins.
Marin : Salut Victoria. Peux-tu te présenter à travers 3 livres de chevet ?
Victoria : Le Horla, de Guy de Maupassant, qui marque mes premières émotions littéraires et me fait m’intéresser de près à la figure de l’écrivain.
L’Amant, de Marguerite Duras. J’ai découvert ce roman à 18 ans. J’ai été non seulement frappée par le style, mais la vie de Marguerite Duras m’a fascinée. Et j’ai voulu faire comme elle, à savoir écrire à mon tour.
Et enfin, Les Fleurs du Mal, parce que, tout simplement, Charles Baudelaire.
M. : L’inhospitalière Salpêtrière est le cadre de ton roman, pourquoi ce choix ?
V. : Les anciens bâtiments de la Salpêtrière sont absolument fascinants : on se croirait moins dans un hôpital que dans un quartier du 13ème arrondissement, avec ses ruelles, son parc, sa chapelle, les bistrots en moins. Mais c’est un endroit que j’ai aussi trouvé austère et pesant. On dit que les pierres retiennent les souvenirs d’un lieu : quand j’ai appris que la Salpêtrière avait enfermé des femmes par milliers durant deux siècles, j’ai compris mon ressenti. J’ai voulu m’intéresser de près à ce passé méconnu et à ces femmes internées.
M. : Le roman historique et le féminisme c’est un match du tonnerre : pourquoi ce parti pris ?
V. : Je n’ai pas envisagé le roman de cette manière au premier abord. Je venais de découvrir un pan de l’histoire de Paris que j’ignorais, et je réalisais autour de moi qu’on ignorait autant ces pratiques. Pourtant, 1885, ce n’est pas si loin ! Et puis, la notion d’hystérie, de folie, le regard sur la femme… Cette époque résonne pas mal avec la nôtre.
Ce qui m’a profondément marquée, c’est ces femmes. On parle souvent de Charcot, mais jamais de celles qui lui ont permis d’avancer dans ses travaux. Mon objectif premier était de raconter leur histoire et de dire « il y avait là ces femmes, voilà ce par quoi elles sont passées ».
M. : Comment se sent-on lorsque le comité de lecture d’Albin Michel valide son manuscrit ?
V. : J’ai peu confiance en moi, donc j’étais persuadée qu’ils allaient changer d’avis. J’ai véritablement compris que j’allais être publiée lors du service de presse (ndlr : envoi du livre à tous les médias). À partir de là, j’ai eu le trac.
M. : Aux Grandes Femmes, Victoria Mas reconnaissante : qui invites-tu, dans ton Panthéon personnel ?
V. : C’est terrible les listes, on a toujours peur d’oublier quelqu’un. Classique, mais évidente, Simone de Beauvoir. Françoise Sagan, pour son œuvre littéraire et sa sincérité. Camille Claudel, pour ce talent immense qu’on lui a refusé. Maya Angelou, quelle vie. Dorothy Parker, quel esprit. Simone Veil et son héritage incomparable. Et j’en oublie forcément certaines, mais l’article sera publié lorsque je m’en souviendrai.
M. : Ce serait quoi ton accomplissement ultime ?
V. : J’aimerais bien être sereine, un jour. Ça doit être plaisant.
M. : Et pour finir, tu ne déroges pas à la question signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’une artiste ?
V. : Je pense qu’un(e) artiste se mesure véritablement à l’impact qu’il a sur les autres. Alors certes, il y a d’abord la capacité à articuler une pensée et un sentiment au travers d’une œuvre. Mais la finalité de celle-ci est de ne plus appartenir à celui qui l’a créée et d’opérer chez des inconnus, qui y trouveront ce dont ils ont besoin. Je vois l’artiste comme un intermédiaire, plus encore que comme un créateur.