Son avidité pour l’écriture et son gros penchant pour la…
C’est en regardant le ciel depuis sa fenêtre que Marion Brunetto aka Requin Chagrin a trouvé l’inspiration pour son 3ème album. Quelques perséides plus tard, Bye Bye Baby était né.
Si la protégée de Nicolas Sirkis flirte toujours avec la dream pop et une certaine nostalgie, elle semble avoir quitté la terre et la mer qu’elle affectionne tant pour d’autres univers et d’autres sonorités. Une bonne dose de spleen aérien garantie.
Anaïs : Bonjour Marion ! Ton troisième album Bye Bye Baby est sorti le 9 avril dernier, en plein troisième confinement et recrudescence de l’épidémie de Covid-19. Dans quel contexte l’as-tu composé ?
Marion Brunetto : Je l’avais commencé un peu avant le premier confinement et je l’ai terminé fin août 2020. Une grosse partie a été composée et enregistrée pendant la période du premier confinement. Mais finalement, cette situation assez étrange et angoissante pour la plupart des gens ne m’a ni dérangée, ni empêchée de faire des chansons.
A. : Tu as trouvé la période inspirante ?
M.B. : En réalité, oui assez. Avant que tout devienne impossible, j’ai eu la chance de me faire prêter du matériel pour enregistrer et ça m’a vraiment beaucoup inspiré d’avoir tous ces instruments, de les découvrir et de les appréhender. Ensuite, c’est vrai qu’il fallait être imaginatif pour s’évader pendant cette période d’enfermement. Moi, je me mettais à ma fenêtre pour regarder le ciel. C’était ma manière à moi de m’évader. Et je rêvais de le faire pour de vrai ! Je regardais aussi beaucoup de photos et de dessins sur les réseaux sociaux, même des bouts de films. J’étais nourrie de plein de choses avec toutes ces images et la vue de ma fenêtre. C’était plutôt inspirant. En plus, j’avais plus de temps donc c’était tout bénéf’ ! J’avais toute la journée, toute la semaine, puis tous le mois…
A. : Les paroles racontent tantôt un adieu dans Bye Bye Baby, un laisser-aller à des sensations dans Première vague, un monde nocturne plein d’étoiles dans Déjà vu, une certaine nostalgie de la vie dans Juno. Quel est le fil conducteur de l’album ?
M.B. : Les chansons sont venues de manière un peu décousue dans l’espace-temps, ce qui fait qu’il n’y a pas eu tout de suite un fil conducteur net. Après, je me suis rendue compte que plusieurs thèmes revenaient. D’abord, celui des étoiles filantes et de la nuit. Je trouve l’image assez belle et j’avais envie de la développer sur plusieurs titres. Ensuite, il y a le thème des adieux, tantôt amoureux, tantôt à une vie passée, et de l’émancipation.
A. : J’ai l’impression en tout cas que la poésie et les mots ont une place très importante dans ton travail ?
M.B. : Oui. Quand j’essaie de trouver une mélodie de voix, je prends un micro et je chante tout simplement un yaourt. Mais souvent, des mots et des phrases arrivent pendant cette phase là. Et je les garde quasiment à chaque fois parce que c’est spontané, mais surtout parce que ces phrases sont dans la sonorité. Je m’en sers comme base pour trouver le reste des paroles. Je travaille vraiment sur la sonorité. Avant de faire un couplet, je sais avec quelle lettre il va rimer en fonction de mon yaourt !
A. : Déjà vu est une chanson sur les perséides, ces étoiles filantes qui se multiplient autour du 15 août. D’où te vient cette fascination pour les étoiles ?
M.B. : C’est un nouveau thème pour moi. Je ne maîtrise pas du tout l’astronomie ! Pour l’explorer, je me suis plutôt rapprochée de souvenirs d’enfance quand je regardais ces fameuses perséides dans le ciel d’été. Je me rappelle aussi d’un guide à la montagne qui parlait sans cesse des constellations… Cet univers des étoiles est en fait très lié à mon enfance. Et puis, tourner les yeux vers le ciel permet de quitter l’univers terrestre et de se changer les idées, je trouve.
A. : Bye Bye Baby est une sorte de nouveau départ, de nouvelle aventure. En quoi ce troisième album est-il différent du précédent ?
M.B. : Il est plus affirmé, plus travaillé et plus riche dans le son. J’ai ajouté plus de synthétiseurs sur cet album pour donner plus de couleurs et une autre dimension à certaines chansons. C’était une belle découverte pour moi. Après, au niveau des textes, j’avais envie de me détacher du champ lexical et de l’histoire rattachée à mon Sud, aux vagues et à la mer. J’avais envie d’avoir la tête plus dans les nuages et dans les étoiles. J’avais aussi envie de découvrir de nouvelles sonorités. Les chansons sont un peu plus variées que dans l’album précédent.
A. : L’album est marqué par une certaine nostalgie, une douce mélancolie, une sorte de spleen aérien. C’est ta marque de fabrique ?
M.B. : C’est vrai qu’il y a beaucoup de spleen. C’est un peu le fil conducteur de tous mes disques. Après, dans cet album, j’avais envie d’un truc un peu plus léger, lumineux et chaleureux. Même si les textes sont toujours dans le spleen et la nostalgie.
A. : Tu as exploré plusieurs courants musicaux : rock, pop, yé-yé, dream pop, shoegaze, surf music, noisy-pop, new wave. Pourquoi est-ce important pour toi de ne pas rester dans un seul genre ?
M.B. : Il y a plein de groupes que j’adore dans plein de styles différents. C’est pourquoi, je n’ai pas envie de m’enfermer dans un seul genre et de faire des choses qui ont déjà été racontées ou entendues. Quand je compose, j’aime bien mettre plusieurs de mes influences. Et au fur et à mesure de la construction d’un morceau, cela donne un truc un peu hybride. Perséides par exemple est plus du rock psyché garage à guitare et à un moment, il y a un petit synthétiseur qui vient apporter une touche dream pop. Après, ce que je fais est plus de la dream pop de manière générale.
A. : Qu’as-tu écouté pendant que tu composais l’album ?
M.B. : Un peu de tout mais j’ai écouté beaucoup Cocteau Twins, pas mal de groupes shoegaze, ou encore le dernier MGMT. J’écoute aussi toujours régulièrement Jon Moss. Je trouve qu’il a une richesse et une fougue dans la composition. J’aime bien également le dernier album de Corridor, un groupe de rock indé canadien. J’écoute pas mal de rock canadien et québécois.
A. : Un article de L’Express de 2019 disait de toi : « C’est comme si Indochine, les Beach Boys ou Blondie en version assagie s’étaient donnés rendez-vous sur la plage pour chanter dans la langue de Molière », ça te correspond bien ?
M.B. : Ouais ! C’est marrant. Ce sont trois styles que j’aime beaucoup. Et avec Requin Chagrin, il y a un vrai côté rendez-vous sur la plage !
A. : Tu disais dans ta dernière interview pour Arty qu’un artiste était quelqu’un qui a son propre sens de l’observation. Ta définition est-elle toujours la même ?
M.B. : J’ai l’impression qu’un artiste est quelqu’un qui a sa propre vision et qui est en capacité d’analyser ce qui l’entoure. C’est finalement un truc assez perso que de faire de l’art. Chacun a son regard et montre sa vision, par ses propres moyens, aux autres.
A. : Qu’est-ce qui différencie finalement l’artiste des autres ?
M.B. : Je pense que c’est le fait de transformer sa vision en quelque chose. C’est sûr qu’on a tous une vision, mais les artistes sont ceux qui la transforment en un dessin, en une chanson ou en un livre. Il faut être un peu borné aussi, l’artiste est forcément quelqu’un de passionné.