Arrêtez tout, on s’est entretenu avec Telepopmusik pour leur grand retour
Grande amatrice de vin rouge et de comédies romantiques, Zoé…
Telepopmusik nous dévoile l’histoire de leur troisième album Everybody Breaks the Line : le tout porté par une esthétique onirique, sur un fond à la fois sombre et bouleversant.
La carrière de Telepopmusik a commencé sur les chapeaux de roue avec le succès de Breathe issu de leur premier album Genetic World paru en 2001, un single que l’on a pu découvrir dans de nombreuses publicités (Carte Noire, Garnier, Peugeot), dans le mythique De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard, ou encore dans la série américaine Six Feet Under. C’est en 2005 que le groupe présente son second opus Angel Milk, avant de finalement revenir en force aujourd’hui avec son dernier album qui interroge la société telle qu’elle est actuellement à travers des titres forts tels que Dreams, ou encore Ghost of Love. On s’est entretenu avec Antipop, aka Christophe Hétier, moitié de Telepopmusik.
Zoé : Salut Antipop. Que s’est-il passé avec Telepopmusik depuis votre second album Angel Milk en 2005 ?
Antipop (Telepopmusik) : Nous avons sorti notre single Ghost Girl en 2009, s’en est suivi le titre Sound avec Mark Gardener en 2014. On n’a pas été complètement silencieux. Entre temps, on a aussi fait des enfants, ce qui prend du temps (rires). Parallèlement, on a travaillé sur nos projets solos. Tout l’enjeu de l’album, c’est de trouver 10 morceaux qui fonctionnent ensemble, sans compter le temps qui passe vite et le deal à trouver avec le label.
Z. Vous aviez signé plusieurs collaborations avec des marques pour des publicités notamment. Travaillez-vous en dehors de Telepopmusik sur des projets de musique à l’image ?
A. Mon partenaire, Stephan Haeri, davantage, il fait beaucoup de musiques de documentaires. Le troisième membre de Telepopmusik, Fabrice Dumont, est parti du groupe et a monté GUM Library. C’est un autre métier. Personnellement, je suis plus excité par l’idée de finaliser un morceau et par une démarche plus artistique.
Z. Vous gardez cette signature reconnaissable de Telepopmusik, avec une production électro, des vocaux planants, et un résultat à la croisée des chemins entre l’indie et la pop. Dans quelle direction souhaitez-vous faire évoluer votre son ?
A. À l’époque notre tube Breathe était considéré comme étant plutôt « Lounge » et « Chill ». De là, on a opté pour une direction plus électro-pop qui relève davantage de l’écriture de chanson. Pour parler de la production Telepopmusik, c’est toujours Stephan Haeri et moi, donc il y a une cohérence dans le son. Comme on a mis beaucoup de temps à réaliser cet album, on voulait des titres plus écrits qui résistent à l’épreuve du temps. Les morceaux basés sur des effets de production sont généralement plus spontanés et doivent sortir rapidement, car ils ne sont très vite plus d’actualité. On a finalement gardé pour cet album les morceaux les plus classiques dans l’écriture, qui fonctionnent en guitare-voix. Dans tous les cas, ça reste de la musique électronique, le processus est mystérieux.
Z. Vous avez opté pour des featurings à la fois rétro et cinématographiques : Jo Wedin, Angela McCluskey, Young & Sick et Sylvia Black. Était-ce une volonté de s’inscrire dans une dimension intemporelle et imagée ?
A. On a fondé ce groupe sur l’idée de Massive Attack : ne pas avoir de chanteurs attitrés, mais des collaborateurs pour se laisser la liberté de pouvoir changer. Pour autant, on est très dépendants des chanteurs avec qui l’on collabore, mais on ne souhaitait pas s’enfermer dans un groupe qui a tout dit et qui n’arrive plus à évoluer. On a décidé de collaborer avec Young & Sick qui chante sur Dreams, car il avait fait une reprise de Breathe que j’avais aimée. Nous avons également enregistré avec lui les 4 derniers titres de l’album, qui sont peut-être les plus représentatifs de la direction que l’on a choisie.
Quant à Sylvia Black, elle chantait déjà en 2013 sur le maxi Try Me Anyway / Fever et depuis, on tourne en live avec elle. Sylvia peut chanter tous les morceaux, elle est très polyvalente. Les titres sur lesquels elle chante sont les plus anciens de l’album, ils ont été écrits entre 2008 et 2009. C’était un exercice de rassembler sur un même album des titres écrits il y a 12 ans et d’autres plus récents.
http://https://youtu.be/lNlIBkn98s8
Z. Vous avez sorti le clip de Dreams le 28 août. Quelle était l’intention de l’inscrire sur des images aussi saisissantes que celles de Tchernobyl ? Était-ce là une volonté de dénoncer ?
A. Le contraste n’était pas gagné d’avance car la musique qu’on fait évoque quelque chose de mélancolique. Nos paroles évoquent généralement des histoires d’amour qui finissent mal, comme c’est souvent le cas… désolé. Le morceau Dreams – qui portait le titre de Dark Dreams initialement, évoque l’idée d’un rêve sombre. Le parallèle avec l’histoire de Tchernobyl fonctionnait car comme on peut le voir dans la première partie du clip, c’était un projet qui enthousiasmait les gens : nouvelle ville, nouvelle énergie. Toute la première partie se base sur des images d’archives de propagande. Ce rêve tourne au cauchemar quand, à partir de l’accident, le réacteur explose, la ville est évacuée, les gens doivent tout quitter. Le clip est aussi un hommage à tous les travailleurs qui se sont sacrifiés en construisant le sarcophage autour du réacteur. C’est entrecoupé d’images actuelles où l’on peut voir les conséquences 30 ans après : il ne reste rien, des murs vides, et c’est un rêve sombre.
Z. Peux-tu nous parler des autres clips pour cet album ?
A. On a réalisé plusieurs clips avec notre boîte de production, La Moufle, dont celui de Connection qui raconte l’histoire d’une femme qui rencontre un ovni en Bretagne. Nous avons également tourné un clip pour It Hurts, dans lequel j’ai voulu reprendre un court-métrage réalisé par mon oncle à la fin des années 60. C’est l’histoire d’un homme qui entre dans une brocante, trouve des lunettes, et comprend qu’elles déshabillent les gens. Il est mort récemment, j’ai donc voulu lui rendre hommage en l’adaptant avec la chanteuse Jo Wedin.
Pour le clip de Dreams, j’étais allé à Tchernobyl quand j’avais joué en Ukraine. Je connais très bien le collectif d’artistes qui est responsable des événements culturels là-bas. Ce sont eux qui m’ont donné les images d’archives gratuitement. On fait avec les moyens du bord.
Z. Sur le titre Ghost Of Love, on retrouve une production imagée et rêveuse sur un fond dissonant. Comment l’avez-vous produit ?
A. À l’origine, c’était un titre que j’ai composé avec un pote à NYC et on l’a complètement repris. On l’a envoyé à Young & Sick au moment des attentats au Bataclan, il a écrit ce titre deux jours après le massacre : on sent l’émotion dans les paroles. C’est vraiment un hommage aux victimes. Je ne comptais pas en parler explicitement car les titres hommage aux victimes peuvent avoir une connotation un peu opportuniste, mais puisqu’on en parle, la composition du titre a été une réaction spontanée face aux évènements.
Z. Votre album semble entremêler des histoires d’amour, une forme d’irréel, et quelquefois un message engagé. Quelle est votre intention ?
A. On essaie de ne pas se contenter d’histoires d’amour. Aujourd’hui on vit une pandémie, une catastrophe écologique, il y a un désir de réagir sur ce qu’il se passe. On ne veut pas rester dans notre bulle mélancolique à regretter les amours passés. Les chanteurs avec qui l’on collabore ne peuvent pas non plus rester sans avis sur ce qui devrait être amélioré ou changé. On porte quelque chose de plus politique : un parti pris contre le nucléaire, un hommage aux gens de l’ombre durant l’épidémie. On a bien réalisé qu’on avait besoin d’eux.
Z. Quelles sont vos sources d’inspiration pour cet opus ?
A. Les influences qui nous ont marqués remontent aux années 80 et 90. Beaucoup d’idées nous viennent des Stranglers, un groupe typique des années 80, qui nous influence dans la manière de produire. Avec le temps, on a digéré plein d’influences qui deviennent cohérentes à terme.
Z. Quels projets avez-vous ensuite ? La crise sanitaire a impacté vos plans pour 2020-2021 ?
A. On est obligés d’attendre… Au mieux, ça reprendra au printemps 2021, mais on n’en sait rien. On a joué début mars au CRSSD Fest, un grand festival à San Diego. Ça a été à la fois le premier et le dernier de la saison. La difficulté c’est que la moitié des revenus proviennent des tournées et des DJ Sets, le confinement a vraiment tout impacté.
Z. Et comme c’est la tradition chez Arty Magazine, quelle est ta définition d’un artiste ?
A. Un artiste est quelqu’un qui n’a pas peur de mettre son confort personnel en péril. C’est comme une remontée mécanique, quand tu l’as prise, t’es censé continuer à monter. Pour cet album, par exemple, je ne savais pas quand j’allais le finir, mais qu’il fallait continuer. J’aime plus la notion d’artisan que d’artiste finalement.