Interview : The Magician, emblème de la House Music depuis plus de 10 ans
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
The Magician alias Stephen Fasano, icône de nos premières virées en club, ex-membre d’Aeroplane et représentant belge de la disco-house est revenu pour Arty Magazine sur ses débuts en tant que DJ et producteur à l’occasion de la sortie mercredi dernier de sa 100ème Magic Tape.
Quand on aime, on ne compte pas. Cela fait plus de 10 ans que l’on suit Stephen Fasano, de son exposition internationale avec le remix générationnel de I Follow Rivers de Lykke Li, à ses mixtapes mensuelles The Magic Tapes publiées avec la régularité d’un métronome sur Soundcloud. Entorse à la règle, la 100ème édition de sa Magic Tape est l’occasion de marquer le coup. Surtout, cet anniversaire est le prétexte parfait pour synthétiser notre amour au dandy belge et rencontrer celui qui donne le « la » de la House Music depuis plus d’une décennie.
L’artiste nous ramène à l’insouciance de nos premiers émois disco-house en boîte de nuit, quand une mélodie fiévreuse rehaussée de beats électro nous ouvre les portes d’un univers jusqu’alors inconnu. Cette même scène que l’on retrouve sans bouder notre plaisir sur sa 100ème Magic Tape : The Aston Shuffle, Boston Bun, Jean Tonique, Jerge, Van She, Pat Lok… Dernier tour d’une décennie qui s’est achevée, cette mixtape aux allures de compilation est composée uniquement d’inédits, dont le contagieux One Vibration signé d’un coup de baguette du producteur. Une nouvelle ère s’ouvre sous le sceau du prestige, l’étape finale d’un tour de magie où l’imprévu est invité à se produire. Ici, il s’annonce heureux.
Marin : Salut Stephen. À grand anniversaire, grand bond dans le temps. Peut-on revenir à la naissance de The Magician en 2010 ?
Stephen Fasano : J’ai lancé le projet The Magician suite à la séparation du duo Aeroplane dans lequel j’étais avec Vito de Luca. J’ai commencé en 2010 avec la toute première mixtape que j’ai appelé The Magic Tape. Je voulais présenter à mes fans un style assez varié et recherché de disco, de house, de pop… Le principe des Magic Tapes reste surtout de présenter des morceaux frais que je découvre dans le mois.
M. : Comment choisis-tu les morceaux qui vont apparaître sur tes Magic Tapes ?
S.F. : Je recherche sur toutes les plateformes ce qu’il y a de nouveau, notamment sur des shows radio aux États-Unis, en Angleterre, en France… Il faut que le morceau reste frais en n’ayant pas plus de deux/trois mois. C’est principalement des morceaux que j’aime et que j’ai envie de partager.
M. : Est-ce que tes tournées à travers le monde t’influencent ?
S.F. : J’ai eu des périodes, notamment autour de la 60ème Magic Tape, où je me suis rendu compte que je jouais très club. Ça ne m’étonne pas parce que c’était une période où je tournais beaucoup aux États-Unis, et la musique que je produisais était elle-même aussi très club. J’avais besoin de plus d’énergie que de mélodie.
M. : C’était l’influence de la scène EDM qui est très implantée aux États-Unis ?
S.F. : Je ne me considère pas comme un DJ EDM mais là-bas ils me considèrent comme tel. Le terme « EDM » ne signifie pas la même chose qu’ici. Pour eux, c’est vraiment la scène électronique dans sa globalité. Pour nous, ça représente le DJ Mag top 100, l’aspect plus commercial de la musique électronique.
M. : Donc ta touche disco-house est considérée comme de l’EDM aux États-Unis ?
S.F. : Totalement, alors que l’EDM est assimilé en Europe plutôt à Tiësto ou Martin Garrix.
M. : J’insiste sur la notion de « disco » parce que tu es tombé petit dans la marmite grâce à la collection de vinyles de ton oncle. Ces Magic Tapes, c’est une manière de perpétuer la tradition familiale ?
S.F. : C’est totalement ça. Avant d’être producteur de musique électronique, j’ai commencé par vouloir être DJ en calant deux morceaux au même tempo avec des cassettes. C’était des shows radio que j’enregistrais à 14/15 ans. Je faisais du collage comme beaucoup de DJs à l’époque, surtout ceux qui n’avaient pas assez d’argent pour s’acheter des platines, en éditant sur des cassettes avec le « rec », le « play » et le « pause ».
M. : Où as-tu joué tes premiers DJ Sets avec du public ?
S.F. : Je suis né à Namur mais j’ai fait mes premiers DJ Sets à Charleroi, la ville industrielle belge. Les mines ont fermé dans les années 60/70 et une grosse crise économique a suivi, donc c’est une ville assez pauvre. J’ai grandi pas très loin de là.
M. : Le disco était le rayon de soleil essentiel à ce quotidien ?
S.F. : Je ne suis pas certain que Charleroi soit la source. Je pense à Détroit (ndlr : ville industrielle qui a subi de plein fouet la crise automobile dans les années 50) où la musique techno n’était pas particulièrement ensoleillée, bien que ce soit une base de jazz. Par contre, pour ma part, il y avait cette envie de faire la fête au début des années 2000 avec les soirées que l’on organisait mensuellement avec deux potes, Nico et Manu. On a invité tous les Djs connus de l’époque : Ivan Smagghe, Gilb’R, Riton, Henrik Schwarz…
M. : Le DJ Set est arrivé très tôt contrairement à la production ?
S.F. : Je voulais être plus DJ que producteur. Au tout début, ça ne m’intéressait que moyennement de créer mes propres morceaux. Je préférais jouer la musique des autres, faire danser les gens, ce qui était un peu paradoxal car j’étais très timide. C’était une manière de ressentir de l’énergie, de l’amour, d’être dans le partage et de recevoir quelque chose en échange. J’avais besoin de ça… Et j’en ai probablement toujours besoin en fait. C’est très agréable (rires).
M. : Les premiers remixes n’ont pas tarder à arriver ensuite ?
S.F. : J’ai commencé à produire vers 2005/2006, on avait déjà un projet avec Vito de Luca avant Aeroplane (ndlr : The Spankers). On a remixé le morceau électro I Don’t Want To Have Sex With You du groupe belge Soldout pour en faire un titre rock. D’ailleurs je le cherchais récemment sur YouTube, il est introuvable sur toutes les plateformes. Il passait en radio en Belgique assez souvent.
En 2007, on a formé Aeroplane. J’étais très influencé par la musique disco scandinave de Lindstrøm, Prins Thomas, Todd Terje ou encore Röyksopp. Vito pensait la musique avec plus de mélodies, ce sont ses racines italiennes. Aeroplane était la rencontre de tout ça. C’est pour ça qu’on a diminué le tempo à 105/110 pour le premier track d’Aeroplane (ndlr : Aeroplane, paru le 27 août 2007 sur Eskimo Recordings), je pense que c’est plus groove même en kick 4/4, plus sexy aussi.
M. : L’histoire d’Aeroplane est allée jusqu’à l’album…
S.F. : Aeroplane a duré 3 ans, on a fait l’album We Can’t Fly (ndlr : paru le 6 septembre 2010 sur Eskimo Recordings), et on s’est séparé juste avant la sortie. En 2010, avec l’aide de mon ex-fiancée de l’époque, Julie, j’ai lancé à ce moment le projet The Magician.
M. : Comment le concept mensuel des Magic Tapes est né ?
S.F. : Je faisais déjà des mixtapes avec Aeroplane. Vito était le producteur et le musicien, j’étais le DJ qui amenait les idées et la vision. Ça toujours été ma passion de faire des mixtapes, j’ai tout simplement continué seul plutôt qu’à deux, sans avoir à faire de concessions. Depuis mes 15 ans jusqu’à mes 44 ans aujourd’hui, ça fait 30 ans que je fais des mixtapes.
M. : Est-ce que ta manière de digger a évolué avec les nouvelles plateformes ?
S.F. : Je passe toujours énormément de temps à écouter et rechercher de la musique. C’est encore plus compliqué aujourd’hui avec la politique de Spotify qui veut être le premier à publier ta musique. Si tu n’es pas le premier avec eux, tu n’as aucune chance de te retrouver dans une chouette playlist. C’est devenu plus difficile d’avoir une exclu et de jouer les tracks en première sur mes mixtapes.
M. : Cela a influencé ta volonté de proposer des titres inédits pour la 100ème Magic Tape ?
S.F. : C’est toujours ce que j’ai voulu faire, présenter quelque chose de frais et de nouveau. Pour la 100ème mixtape, j’ai 15 morceaux exclusifs que les gens ne connaissaient pas, à l’exception de mon single One Vibration que j’avais teasé le 15 Janvier. Personne n’avait entendu les morceaux avant que la mixtape ne sorte.
M. : Est-ce qu’il y a un morceau dont tu es particulièrement fier en dehors de One Vibration ?
S.F. : Je suis fier de l’ensemble de la mixtape, tous les artistes ont vraiment donné le meilleur d’eux-mêmes. L’exercice n’était pas évident car il y a beaucoup de morceaux instrumentaux conçus pour danser. Ce mix de disco et house est vraiment représentatif de ce que sont les Magic Tapes depuis le début.
M. : Est-ce qu’on peut revenir sur la création de One Vibration qui t’est particulièrement cher ?
S.F. : C’est un instrumental que j’ai réalisé l’année passée sur un vol pour le Mexique. J’avais déjà une chouette démo donc j’ai décidé de la tester là-bas, ce que je fais rarement. Le public a très bien réagi donc je me suis mis en recherche d’un vocal. J’aime bien les gimmicks plus que les full toplines. Là on est entre les deux, c’est une vraie chanson. La chanteuse Clypso est australienne avec une voix un peu fluette qui me fait penser à Bollywood. Les accords sont par contre plus italiens, dans la veine de Sexual Sportswear et L’Amour et la violence de l’album Sexuality de Sébastien Tellier, produit par Guy-Manuel de Homem-Christo.
M. : L’album Sexuality a maintenant 13 ans, tu crois à l’influence des cycles dans la musique ?
S.F. : Totalement, les Daft Punk en sont l’un des exemples les plus parlants. Je pense que tous les artistes qui perdurent comme les Daft ont toujours été sincères dans leur façon de faire. Ce que les Daft aiment partager ce sont leurs influences, la musique avec laquelle ils ont grandi, qu’ils transforment avec leur touche, la production du moment. Et puis autour de ça, il y a une image. Ce sont des artistes que je respecte énormément.
M. : Est-ce que la scène est importante pour atteindre cette sincérité avec le retour direct du public ?
S.F. : Généralement quand tu produis un morceau, c’est rare qu’il sorte dans les trois mois, c’est plutôt six mois ou un an. Du coup, tu perds l’énergie de départ. Tu es excité quand tu le crées : tu trouves un accord sympa, la basse déchire, le beat aussi… Tu te dis que ce n’est pas possible qu’il faille attendre un an pour que ça sorte. Alors tu fais tout pour le tester et partager ton énergie du moment. Ça m’est arrivé tellement de fois de devoir sortir un track jusqu’à deux ans après sa production à cause de questions de contrats. C’est la chose la plus pénible à vivre pour moi dans la musique.
M. : Tu as maintenant repris le contrôle avec ton label Potion Records ?
S.F. : C’est très important. J’ai décidé de partir de la major où j’étais signé avec The Magician, qui a pu avoir ses avantages avec les avances et la structure sur lesquels je ne crache pas. Par contre, mon dernier deal était tellement compliqué que je ne m’y retrouvais plus. Ils voulaient des hits, mais tu ne peux pas commander un hit. J’en ai eu plusieurs dans ma carrière, mais je ne l’ai jamais fait exprès. Tu ne te dis pas : « Je vais faire un hit aujourd’hui ». C’est important de faire la musique dont j’ai envie, et surtout de partager mes émotions à travers la musique. Je ne suis pas chanteur, je n’écris pas de textes. L’énergie que je partage c’est à travers la mélodie, le beat, les accords.
M. : Comment projettes-tu cette émotion en studio ?
S.F. : J’imagine que tous mes fans sont avec moi quand je produis de la musique en studio. Ce n’est pas le cas bien sûr, personne n’est là. Mais je sens que tous ces gens de Paris, de Tokyo, de Sydney ressentent différentes émotions en fonction de ce que je leur fais écouter, comme je ressens la musique que je fais. Ça me rend tellement heureux, c’est pour ça que je fais de la musique.
M. : Quelques mots sur ton dernier EP Renaissance paru en mai 2020 ?
S.F. : C’est un Maxi que j’ai créé avant le confinement mais qui est très chargé en émotion. Cette « renaissance », c’est renaître musicalement en revenant à mes premières amours pour le disco et la pop des années 80. Fin 2019, c’est aussi le moment où j’ai quitté la major, j’ai signé The Magician sur mon label, je suis reparti de manière indépendante. J’avais envie de marquer le coup avec Renaissance qui est une addition de tout ça.
M. : Ma dernière question est la signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un artiste ?
S.F. : À l’école, l’artiste ne regarde pas le professeur mais par la fenêtre. C’est ça pour moi un artiste : regarder ailleurs, là où on doit être attentif, pour s’évader.