Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Diggeur compulsif, Arthur a toujours de bonnes histoires musicales à…
À la croisée du smooth jazz et de la deep house, Tour Maubourg façonne un échappatoire au spleen avec son premier album, Paradis Artificiels, sorti le 4 décembre dernier chez Pont Neuf Records.
Avec ses huit lignes fuselées de beats, son saxophone en apesanteur et ses samples subtilement assimilés, Paradis Artificiels narre nos échappatoires au spleen contemporain. « Un cocon » comme le confie Pierre, l’homme derrière les machines et le visage sous Tour Maubourg. Ses paradis à lui, ce sont les poèmes de Baudelaire dont il ne s’est pas remis depuis le lycée, et le cool jazz des grands tauliers Miles Davis, Bill Evans, ou Chet Baker. Ajoutes-y un savoir-faire club sous l’égide spirituelle de St. Germain, et tu obtiens l’un des disques les plus précieux de ce début d’année. Pour cesser de survivre en se sentant vivre, tout simplement.
Arthur : Salut Pierre. De ton EP Indulgent Harmonies sorti en 2017 à ton album Paradis Artificiels en 2020, tu t’es nettement éloigné du format club. En trois ans, qu’est-ce qui t’a mené vers cette évolution ?
Tour Maubourg : Disons qu’il n’y a pas vraiment eu de volonté de m’éloigner du format club à proprement parler. Lorsque l’on a discuté avec Pont Neuf de ce projet d’album (ndlr : le label de Tour Maubourg), je n’avais pas vraiment d’idée en tête. Je venais de commencer à louer un studio avec des amis, et la profusion de matériel ainsi que la synergie qui résultait de cette collocation m’ont amené à tenter des choses nouvelles, d’expérimenter à proprement parler. J’aime bien m’imaginer comme un scientifique dans son laboratoire.
A. : Dans un entretien publié le 10 décembre chez Dure Vie, tu confies : “J’aime beaucoup l’idée de raconter une histoire quand je travaille sur un disque”. Quelle est l’histoire que tu souhaitais raconter avec Paradis Artificiels ?
T.M. : Quand je parle d’histoire, je parle surtout de composer un ensemble. Cet ensemble peut être cohérent ou non selon le résultat recherché – l’incohérence peut être cohérente en quelque sorte. Ici la volonté était d’offrir une bulle d’air, un cocon à l’auditeur dans un monde que je trouve de plus en plus oppressant, voire menaçant.
A. : Entre le morceau Albatros de ton précédent EP et ton album que tu nommes Paradis Artificiels, d’où te vient cette fascination pour Charles Baudelaire ? Quelle est ta vision aujourd’hui du spleen ?
T.M. : J’ai découvert Baudelaire comme la majorité des gens au lycée, et j’ai été totalement fasciné par son personnage. Dévoué corps et âme à son œuvre, l’artiste sert un but plus grand que lui, celui de la beauté et de l’art. Il y a quelque chose de presque monacale dans sa vision qui est fondamentale pour moi. Ça rejoint ce que je disais plus haut. Comme un scientifique qui cherche à soigner une maladie grave, je cherche un remède au spleen. Et pour répondre sur le spleen, je trouve qu’il est omniprésent dans notre société aujourd’hui, pour moi en tout cas. La musique est un des seuls moyens de m’y extraire. C’est un peu mon paradis artificiel, « là où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté ».
A. : J’ai lu dans une autre interview pour Dure Vie que tu t’es initié au jazz à travers les productions de hip-hop et le sampling. Ce n’est pas courant de découvrir de manière autodidacte un genre aussi standardisé, qu’est-ce qui t’a attiré vers le jazz ?
T.M. : Je ne sais pas si je suis autodidacte, car je ne suis pas un expert en termes de jazz et je ne veux pas forcément être présenté comme tel. Je suis particulièrement touché par le cool jazz, celui de Miles Davis, Bill Evans, ou Chet Baker. J’ai une fascination pour ces personnages, similaire à celle que j’ai pu avoir pour Baudelaire. Je trouve que ces artistes se sont consumés au fil du temps pour offrir des choses magnifiques à leur public, comme s’ils s’étaient sacrifiés pour le bien commun, pour la beauté, avec une élégance hors-norme. Mas pour revenir au jazz en termes plus musical, c’est une musique extrêmement riche, que je trouve parfois trop complexe, mais on y retrouve toujours des petits îlots de simplicités et de beauté. C’est ce que je recherche quand je sample : ces 2 secondes de pureté oubliées pour les remettre à la vue, ou l’ouïe de tous.
A. : J’ai vu ta vidéo pour Trax où tu présentes le morceau Saint Thé à la Menthe. À quel moment et comment choisis-tu les samples que tu vas utiliser ?
T.M. : Je ne choisis pas vraiment. Généralement je passe beaucoup de temps à réunir des samples « possibles » sans but réel, puis au moment de la composition, je cherche celui qui collera le mieux à mon idée de base. Je peux aussi partir du sample pour composer un morceau autour.
A. : Comment trouves-tu ton équilibre si caractéristique entre house music et jazz ? Quand et comment t’es-tu initié à la production ?
T.M. : J’aime que la composition reste organique, presque naturelle. Je ne sais pas vraiment comment trouver cet équilibre, et j’essaie de ne pas trop y penser. Je pense que c’est dû à mon cheminement dans la musique. J’ai d’abord fait de la batterie puis de la guitare, travaillant toujours en groupe, dans un esprit de jam. Je produis aussi beaucoup de manière intuitive. Une chose en appelle une autre et tant que tous les éléments semblent se répondre de manière juste, je sais que je serais satisfait du résultat. C’est un peu comme tracer une ligne sur une feuille de papier, puis composer un dessin en partant de cette ligne. Une ligne seule ne représente pas grand chose, mais elle peut en appeler trois autres, puis former un carré, et ce carré associé à autre chose produira un autre résultat et ainsi de suite… Par contre je ne pourrais pas expliquer pourquoi j’ai l’impression que les choses collent ou sont équilibrées à un moment donné.
A. : Tu cites couramment St Germain, Massive Attack ou encore Nicolas Jaar comme influences majeures. Quels sont aujourd’hui les autres producteurs ou artistes qui t’inspirent toi et ta musique ?
T.M. : Ces artistes-là évidemment. Plus récemment je me suis plongé dans la dub music, notamment le dub techno de Maurizio, Basic Channel, Rythm & Sound, et j’ai eu une véritable révélation, c’est comme si j’avais trouvé le Graal. Il se dégage de ces artistes quelque chose de totalement hors normes de mon point de vue. Leur musique, dans son minimalisme, le jeu des textures, l’atmosphère spirituelle qui s’en dégage me prend aux tripes. Les travaux de Mark Ernestus et Moritz Von Oswald ont une grande influence sur ce que je produis aujourd’hui. Je suis encore en phase d’expérimentation, mais j’essaie encore de trouver les parallèles entre cette musique et mes productions, pour des prochains EP j’espère.
A. : Est-ce que tu travailles sur d’autres projets en parallèle ?
T.M. : Un live qui devrait arriver pour le retour des clubs.
A. : Ma dernière question est notre signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un artiste ?
T.M. : Quelqu’un qui sert un but qui le dépasse, au-delà de toute considération matérielle.