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Angela Schanelec, le renouveau du cinéma allemand avec « J’étais à la maison mais… »

Angela Schanelec, le renouveau du cinéma allemand avec « J’étais à la maison mais… »

Thierry Champy

Cheffe de file de la nouvelle vague du cinéma allemand et partiellement méconnue du public français, la réalisatrice d’outre-Rhin filme avec subtilité l’inconstance et l’obstination. Ours d’argent de la meilleure réalisatrice à la Berlinale de 2019.

Phillip, jeune collégien, ressurgit du jour au lendemain, sans aucune raison, blessure au pied. Sa mère, Astrid, quadragénaire, tente de trouver des explications à cette disparition. Ébranlée par toutes ces interrogations sans pour autant obtenir de réponse, la mère de famille mène une quête existentielle.

Angela Schanelec s’est longtemps produite au théâtre et a souvent abordé cette thématique dans ses films : « Oui, le jeu de l’acteur m’intéresse beaucoup. Qu’est-ce qu’on peut jouer, et qu’est-ce qui n’existe réellement qu’à travers l’œil de la caméra ? Comment peut-on réellement comprendre une personne qu’on a vue à l’écran ou sur une scène, devant nous ? »

En attendant Phillip

Le rideau s’ouvre. Caméra enracinée, ribambelle de plans façon National Geographic sur la faune et la flore – on y voit un chien dévorant un amuse-gueule, un âne cloîtré on ne sait où, puis un lapin sautillant de droite à gauche – le goudron, le ciment symbolisant la ville. Soudain, un garçon sort du buisson telle une entrée sur scène. On apprendra plus tard qu’il s’agit de Phillip, fils d’Astrid. Les couleurs sont ternes, opaques, pour une tonalité grave, angoissante. Il se dirige vers la lumière, symbole d’espoir. L’adolescent retrouve la vie urbaine.

Le film tient à centrer son histoire sur le jeune garçon, tandis qu’il narre en vérité les désarrois d’une femme, la quarantaine dépassée. Absence de réponse, mal-être affirmé, état d’esprit où flirtent la félicité et la calamité… Astrid traverse une crise existentielle. Ces ambivalences et instabilités déstabilisent notre protagoniste et curieusement le spectateur. Ce trouble de dépersonnalisation fait prendre conscience à Astrid qu’elle doit vivre avec l’absurde. Ce non-sens et cette quête de réponse amplifient cette atmosphère caractéristique d’ambiance beckettienne. La trame linéaire, intransigeante soit-elle, suit son fil comme le courant de la vie. D’où la difficulté à saisir les enjeux scénaristiques et intellectuelles quoique analeptiques.

J’étais à la maison mais… a obtenu plusieurs prix prestigieux, dont celui de la meilleure réalisation pour Angela Schanelec au festival de Berlin de 2019

Théâtre, tu as dit théâtre ?

J’étais à la maison mais… pourrait s’apparenter à une pièce de théâtre contemporaine. On pense à l’esthétique de la contemplation du monde et la réflexion dramaturgique sur le rôle de la pantomime – aspects dominants du film – qui sont en permanence remises en question. Dans un premier temps, Schanelec rejoint indirectement la doctrine de Schopenhauer, c’est-à-dire le plaisir esthétique qui résulte de la contemplation du monde, en filmant, comme l’a délicatement fait Ozu, les scènes de la vie quotidienne, les liens familiaux et amoureux qui ne cessent de fluctuer. Toute la beauté réside dans ces cadrages au lyrisme mesuré, parsemé de silences et de voix étouffées.

Ensuite, le jeu du comédien qu’interroge sous la forme d’un aparté Astrid, incarnée par Maren Eggert, serait arbitrairement limité. Le metteur en scène dirige les comédiens. La direction qu’ils doivent prendre les asphyxierait et donc inaptes à interpréter librement. Qui plus est, la référence au Paradoxe du comédien de Diderot est indéniable. L’auteur des Lumières distingue le comédien sensible, imparfait à priori, au grand comédien dont « [t]out son talent consiste non pas à sentir, comme [on] le suppos[e], mais à rendre si scrupuleusement les signes extérieurs du sentiment, qu’[on s’] y tromp[e].»

Hormis toute cette réflexion jouissive, notons qu’Angela Schanelec a longuement été comédienne avant de devenir réalisatrice. Il n’est donc pas anodin de voir tout cet engouement pour le théâtre – représentation du Roi Lear par des collégiens, personnages hors-champ comme une sortie de scène. En somme, à défaut de modestie intellectuelle, Angela Schanelec s’adresse quelque part à un public curieux pour ne pas dire élitiste. Le spectateur en quête de divertissement, quant à lui, y trouvera une forme d’hermétisme et de vacuité.

J’ÉTAIS À LA MAISON, MAIS…
Un film d’Angela Schanelec
Avec Maren Eggert, Jakob Lassalle, Frank Rogowski, Lilith Stangenberg, Alan Williams, Jirka Zett et Dane Komljen
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