« Aimée » : L’album de la maturité et du changement pour Julien Doré
Ayant erré dans le milieu de la finance pendant quelques…
Il aura fallu attendre 4 ans après & pour que Julien Doré fasse son retour. Que s’est-il passé au cours de ces 4 ans ? À quoi s’est-il intéressé ? Par quoi a-t-il été touché ? Qu’est ce qui a du sens pour lui et qu’a-t-il envie de nous dire aujourd’hui ?
La réponse pourrait se trouver au cœur de cet album, Aimée, du nom de sa grand-mère, ancienne militante féministe, âgée de 99 ans. En effet, Aimée tourne quasi exclusivement autour de considérations et d’interrogations écologiques et sociétales, et questionne notre avenir plus ou moins incertain et le monde qu’on laissera derrière nous.
Des thèmes difficiles abordés de manière solaire
Cette position est assumée dès le morceau qui ouvre ce 5ème album. Sur La Fièvre, Julien Doré donne directement le ton et annonce la couleur en nous disant qu’il « ne veut plus écrire les peines que le féminin » lui a fait et préfère se jouer de « ceux qui vendent leurs culottes pour un peu de télé », « ceux qui préfèrent comploter » et « du vide à écouler » sur les réseaux sociaux. Si les peines de cœurs sont délaissées, elles ne sont jamais vraiment très loin et se racontent sur L’île au lendemain, en duo avec Clara Luciani, la seule véritable ballade amoureuse et langoureuse de l’album.
Même si les thèmes abordés sont difficiles et complexes, Julien Doré parvient à en parler de manière solaire et optimiste et signe un album rassurant et lumineux, et ce en partie grâce aux chœurs des enfants, présents sur plusieurs chansons. Les textes sont aujourd’hui plus directs, plus concrets, et moins métaphoriques, pour coller à la réalité d’une situation. Ainsi, Barracuda I et II distillent l’espoir d’un monde meilleur porté par une génération qui nous exhorte à parler d’elle (« dis-moi quelque chose que je ne vois pas, si le monde explose, parle lui de moi »). Sur Lampedusa, qui aborde la question des migrants, la naïveté et l’innocence qui se dégagent des voix d’enfants viennent apporter une certaine profondeur et autant de gravité que de légèreté aux propos et en fait probablement l’un des titres les plus poignants des 11 morceaux.
L’auto-dérision comme moteur créatif
Avec Kiki, on assiste à la confrontation de deux générations : l’une se justifiant et demandant à être pardonnée de ses erreurs auprès de l’autre. Et, l’autre rassurant celle qui n’aura pas été à la hauteur. En filigrane, on peut y entendre un cri rageur et une confiance réconfortante en l’avenir (« et si ça résonne, et si demain te plait, faudra que tu pardonnes, on était fatigués / on n’est pas fatigués »). D’une certaine manière, Aimée est un vibrant et bel hommage aux liens, à la transmission et à la solidarité intergénérationnels. En effet, ce disque tisse un lien entre deux époques, deux générations et met en avant la jeunesse, désireuse de bousculer les choses et d’être entendue.
On le sait depuis le début, l’un des points forts de Julien Doré réside également dans son talent à faire preuve d’auto-dérision dans son écriture, ici poussée à son paroxysme. On peut notamment entendre sur La bise : « pourquoi tu me fais la bise, moi je voulais t’embrasser, toi t’as penché comme à Pise, gauche ou droite t’as hésité », « on repense à hier et c’est beau, je repense à ta mère et c’est chaud », et sur Waf : « sers-moi de l’amour dans un verre de Pastaga ». À l’inverse, certaines paroles confinent à une forme de poésie représentative de ses précédents albums : « j’ai caché des messages dans des boutons de rose que tu ne pourras lire que si elles sont écloses jusqu’au bout ».
Un 5ème album qui pousse Julien Doré à se réinventer
La maîtrise de Julien Doré s’illustre enfin sur sa capacité à faire des chansons qui demeurent entêtantes, y compris sur les quelques titres, qui sont peut-être moins accrocheurs. Sur Ami et Nous, on ne peut que constater que les refrains continuent de résonner en nous et de se fredonner, une fois le morceau terminé. Si Aimée peut s’apparenter à l’album de la maturité de par les thèmes abordés, il est également celui du changement. Un changement qui s’exprime au niveau de la direction artistique. À l’inverse de Love et & où les influences rock se faisaient davantage sentir, la participation de Tristan Salvati (Angèle, Clara Luciani, Claire Laffut, 47 Ter…) permet d’orienter ce disque vers des sonorités plus électro-pop (avec notamment la présence plus marquée des pads) permettant de fédérer le plus grand nombre.
Cette envie de nous proposer de nouvelles choses se retrouve avec Bla-bla-bla, en featuring avec Caballero & JeanJass. Ce titre, qui dénote du reste de l’album, n’a pourtant pas réussi à nous séduire. Cette collaboration avec les rappeurs belges démontre néanmoins la volonté de Julien Doré de s’ouvrir à de nouveaux horizons. Le changement peut parfois effrayer. Mais, force est de constater que, grâce à Aimée, Julien Doré réussit à sortir de sa zone de confort, à se réinventer, à aller là où on ne l’attendait pas en nous proposant un album qui se différencie drastiquement des précédents, tant musicalement que dans l’écriture et le propos.
Julien Doré nous confie ses craintes, ses doutes et ses questionnements au sujet de l’avenir de la planète non sans (beaucoup) d’humour et d’ironie, mais en évitant l’écueil du donneur de leçons. Au-delà de ses inquiétudes, il nous adresse, en réalité, un message d’amour, de partage et d’espoir universel en mettant davantage, au centre de son discours, le « Nous » plutôt que le « Je ».