« Les Intranquilles », chronique d’un bonheur mis à mal
Il mène sa vie une manette à la main, absorbant…
Notre deuxième coup de cœur de la semaine est le neuvième long métrage du cinéaste belge, Joachim Lafosse. Les Intranquilles livre un portrait touchant et intense d’une relation amoureuse et familiale mise à mal par la maladie psychologique. Sans jamais tomber dans le pathos ou le jugement.
Leila et Damien s’aiment profondément. Malgré sa fragilité, il tente de poursuivre sa vie avec elle sachant qu’il ne pourra peut-être jamais lui offrir ce qu’elle désire.
Leïla, Damien et Amine
Les Intranquilles est un film sur la famille, l’amour, la maladie, et tout ce qui lie les trois entre eux. La belle complicité à l’écran de Leïla Bekhti et Damien Bonnard donne à l’œuvre la majorité de sa mesure émotionnelle. Les deux comédiens sont parfaitement impliqués – belle idée que d’appeler leurs personnages par leurs vrais prénoms, pour ajouter au naturel de leur relation déjà solide. Il plane sur ce long métrage une atmosphère de huis-clos, bien qu’il y ait plusieurs extérieurs et lieux de tournage. Nous sommes en été, entre la plage et la grande bastide familiale, pourtant le film nous offre de longues scènes de suffocation. L’extérieur est solaire, mais l’intérieur pourrit à petit feu. Car la relation de Leïla et Damien balance malgré eux vers le toxique et l’impossible. Bipolaire, Damien perd peu à peu pied, et entraîne sa femme Leïla et son fils Amine dans ses crises de colère et de folie irrationnelles.
Il fallait la force de caractère naturelle de Leïla Bekhti pour tenir tête à l’implication affective de Damien Bonnard, jeté à corps perdu dans son incarnation d’un peintre en pleine déroute psychologique. La tension qui s’installe et habite peu à peu certaines scènes est parfois magistrale. La mise en scène de Joachim Lafosse, acclamé pour son dernier film, Continuer (2018), permet aux deux acteurs de s’immerger complètement dans cette relation malheureusement destructrice. Il n’y a qu’eux à l’écran – également une touchante prestation du fils Amine, joué par le jeune Gabriel Merz Chammah, petit-fils d’Isabelle Huppert, qui doit donc avoir ça dans le sang.
Une histoire de point de vue
Si la majorité du film laisse le spectateur jauger de la relation amoureuse vécue par Leila, Joachim Lafosse intervient finalement pour chambouler la partie et offrir un superbe retournement de point de vue lorsque la raison peu à peu se transforme en paranoïa. Quand la confiance est justement brisée, comment la réparer ? Damien est malade, certes, mais parfois responsable. Survient alors le jeu des questions, des vérifications, la femme se transforme en mère, en médecin ; l’homme est infantilisé, doit redevenir adulte aux yeux de son épouse. La descente aux enfers est méticuleusement mise en images, et la remontée paraît bien difficile. La maladie est férocement illustrée, sans ambages, telle un Nazgûl puissant fondant sur sa proie, et ne laisse aucune chance au couple qui se bat, quotidiennement, pour sortir de cet état, l’intranquillité.
Il y a peu de points négatifs à soulever sur Les Intranquilles. Son réalisateur, Joachim Lafosse, s’est inspiré du vécu qu’il a partagé avec son père, maniaco-dépressif. Le film a été tourné au gré de la direction prise par les acteurs, qui ont véritablement pris possession de leurs personnages, également au montage, pour les instants de mélancolie et le tempo qui les guident. Aussi le cinéaste confiait : « Je n’ai été sur ce film qu’un regard. » Comme nous, spectateurs, auxquels cette chronique estivale d’un couple amoureux mais au bord du gouffre est brillamment délivrée. On te conseillait cette semaine l’amour romantique et séducteur de Cette musique ne joue pour personne, voici l’amour difficile et semé d’embuches des Intranquilles. Mais l’amour, toujours.