Pourquoi faut-il aller voir le conte écologique « L’Indomptable feu du printemps » ?
Comédienne et critique de film, Sidney se promet de reproduire…
Cette semaine sortait L’Indomptable feu du printemps, un conte mystique qui interroge la vie et la mort dans nos sociétés écologiques. L’occasion de se pencher sur une œuvre sublime d’un cinéma sud-africain encore trop rare en France.
Mantoa, 80 ans, est la doyenne d’un petit village niché dans les montagnes du Lesotho. Lorsque la construction d’un barrage menace de submerger la vallée, Mantoa décide d’en défendre l’héritage spirituel et ravive l’esprit de résistance de sa communauté. Dans les derniers moments de sa vie, la légende de Mantoa se construit et devient éternelle.
Le combat d’une héroïne déterminée
D’après les légendes, Nasareth est le village de la vallée des Pleurs, mais ses habitants l’appelaient simplement « chez eux ».
L’Indomptable feu du printemps, entre ethnographie et onirisme, raconte la quête de Mantoa pour sa dignité et celle de son village. Après le décès de son fils dans une mine d’or en Afrique du Sud, Mantoa sombre dans le chagrin et la résignation face aux forces contradictoires de la nature : la vie, la mort, la renaissance. Elle est soudain rappelée à la vie par la nécessité de la révolte contre la destruction de son foyer et de sa terre. Au nom des ancêtres et des défunts, elle réveille et soude les opposants au projet de barrage imposé par la monarchie constitutionnelle, vouant son village à être inondé. L’événement est inspiré du véritable Lesotho Highlands Water Project – le plus grand programme de transfert hydraulique jamais conçu en Afrique – dont l’exportation annuelle d’eau potable depuis le Lesotho vers l’Afrique du Sud est estimée à environ 780 millions de mètres cube.
À l’heure où le changement climatique est une réalité pour le monde et un défi pour les responsables politiques, le combat de Mantoa pour la vie se mesure à la brutalité actuelle de nos sociétés écocides. En effet, les paysages et leur beauté campent des personnages à part entière : ces entités matérielles et immatérielles respirent, souffrent, vivent en communion avec les humains qui la cultivent, l’admirent et trouvent leurs ressources en elles. Le silence qui émane de la vallée, des fleurs, des champs et de Mantoa joue également un rôle important. Ce silence matérialise les cris, la résilience et la résistance des éléments, des défunts et des bienveilant.es qui les veillent. Le silence du fils mort est aussi celui de tant d’autres mineurs du Lesotho. Les zama zamas, (« ceux qui tentent leur chance », en langue zoulou), souvent soumis aux menaces de mort des gangs, creusent clandestinement en Afrique du Sud dans des conditions inhumaines pour pouvoir nourrir leurs familles.
Une fresque environnementale puissante
Le film reprend le thème de la politisation de l’enjeu environnemental et social sous l’angle du sacré, faisant du personnage de Mantoa une allégorie chevaleresque en même temps qu’une hyperbole de valeurs universelles et un modèle de cohésion fondée sur la mémoire. Mosese développe la symbolique et la poésie sonore des paysages naturels, et pourtant merveilleux, pour mieux élargir le discours et ancrer notre imaginaire dans la réalité. Le montage est également sculpté sur des décalages permanents : musique expérimentale, clair-obscur, couleurs signifiantes, jeux sur les cadres et composition de tableaux, plutôt que de longs dialogues. Cet équilibre entre l’écriture audiovisuelle et l’interprétation ténue de la regretté Mary Twala Mhlongo éclaire les injustices envers les humains et les non-humains, en interrogeant le cycle du progrès mortifère et notre capacité de résilience.
L’œuvre appelle également à s’autoriser de nouvelles formes d’émancipation à travers la solidarité. Mantoa sort de la conduite attendue du monde extérieur – le deuil et la résignation – pour inaugurer une expérience objective qui la place au rang des héroïnes de notre monde. Son message est clair : l’occasion d’un ré-enracinement au sein de sa propre identité, consolidant l’acte de présence à soi et au monde, est toujours possible. À condition qu’il s’accompagne d’une reconnaissance honnête des liens d’interdépendance et de coopération entre les vivants et les non-vivants. Voilà la magie de ce film : attiser notre réflexion sans trop en dire, quitte à ballotter le spectateur entre discernement et émotion.