Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Entretien digestif et introspectif avec l’un des producteurs électro français les plus en vus du moment, NTO, qui sous ses multiples talents ne cache pas sa véritable intention : nous faire danser avec émotion. Son premier album, bijou d’ingéniosité dance, Apnea, s’écoute sans lassitude depuis le 8 octobre 2021.
C’est le début de l’été. En bas de la Butte Montmartre, caché sur une longue avenue serpentine, une petite façade de café devant laquelle on pourrait passer sans s’arrêter. Au milieu des odeurs de marc, dans une pièce qui a l’allure d’une ancienne réserve reconvertie en cocon bobo, NTO touille tranquillement son pur Arabica. On entre, la sonnette tinte.
L’avenir s’écrit entre deux tasses de café
Appelons-le Anthony, de son prénom. Producteur depuis plus de 10 ans, fer de lance de la scène électro française, membre éminent du triumvirat sudiste à l’origine du label Hungry Music, l’artiste est à l’aube d’un tournant dans sa carrière comme d’une tournée internationale engagée pour défendre son album Apnea. Ce premier long format est une véritable bouffée d’air qui concrétise un savoir-faire d’une décennie.
Du sud de la France aux plus grandes scènes étrangères, l’artiste est chez lui partout. Aujourd’hui, c’est à l’abri des projecteurs qu’il revient sur sa prestigieuse collaboration avec la légende berlinoise Paul Kalkbrenner, sa rencontre marquante avec le quintuple champion du monde d’apnée Arthur Guérin, mais aussi sa famille le véritable fil rouge de son album aux productions sonnantes et dansantes. Certains lisent l’avenir dans le fond des tasses. NTO l’écrit en les sirotant entre deux vols.
Marin : Salut Anthony. Un avis sur le café qu’on est en train de boire ?
NTO : Je ne pouvais pas rêver mieux que ce délicieux nectar (rires).
M. : Je suis heureux de te rencontrer parce qu’il y a beaucoup de goûts et de saveurs dans ta musique, mais aussi une dimension plus corsée par tes aspirations club. Est-ce que cette image te conviendrait pour présenter ton univers ?
NTO : C’est une définition qui me va à merveille. J’essaie en premier de mettre du sentiment, de la sensation, de l’émotion dans ma musique. Vu que son ADN est très dancefloor, j’essaie aussi de faire en sorte que ce soit énergique et dansant.
M. : Tu viens de la scène club du sud de la France, où tu étais signé avec tes amis Worakls et Joachim Pastor sur le label Hungry Music. Qu’est-ce qu’elle t’a apporté cette scène indépendante, et pourquoi être parti vers de nouveaux horizons ?
NTO : On a fondé Hungry Music en 2013 avec Joachim Pastor et Worakls, ça a été une aventure enrichissante pour tous les trois. C’était génial d’avoir cette notion de collectif avec plusieurs artistes réunis autour de la même intention artistique, même si nos styles étaient différents. Le dénominateur commun, c’était de raconter une histoire à travers nos morceaux électro. Le changement de label s’est fait très naturellement, on avait envie de porter chacun nos projets de manière autonome et on s’est dit que c’était le moment.
M. : Parle-moi un peu de ta nouvelle équipe qui a préparé le terrain de ton premier album ?
NTO : J’ai commencé à travailler avec Believe et une équipe d’amis managers (l’agence Kidding Aside, ndlr) qui m’ont aidé à m’épanouir dans mon projet personnel. Je me suis senti poussé des ailes pour assumer un album, ce qui n’était pas le cas avant. Je sacralisais le format. Je me disais que ça devait être gage de maturité, surtout dans l’électro où l’on est habitués à sortir singles sur singles avant de faire un EP. J’ai mis à profit le temps que j’ai eu pendant le Covid pour définir les contours du concept, et me lancer dans tout ce que je voulais accomplir.
M. : Cet album s’appelle Apnea et il me semble qu’il amène un concept fort. Tu m’expliques ?
NTO : La grande majorité des tracks a été composée pendant le confinement, et au fur et à mesure des mois, le concept s’est affiné. Je voulais qu’il ait un sens personnel et pas seulement musical, mais aussi que le nom qu’il porte m’aide à composer des morceaux. Au fil de conversations avec ma femme, l’aspect aquatique et plus particulièrement sous-marin de ma musique est ressorti. Quand je n’ai pas d’inspiration, je m’imagine dans une bulle sous l’eau. C’est quelque chose qui résonne beaucoup en moi.
M. : Une rencontre a été déterminante avec Arthur Guérin.
NTO : Arthur Guérin, qui est quintuple champion du monde d’apnée, me contacte et me dit qu’il aime ma musique, et qu’il vient me voir en concert la semaine prochaine. Il me propose un échange entre nos deux univers. Il m’initie à l’apnée, en échange de quoi je l’emmène en studio une journée. Je suis allé à l’initiation à Nice, coaché par le quintuple champion du monde, ce qui n’est pas rien.
M. : En quoi cette rencontre a influencé ta manière de concevoir le disque ?
NTO : Déjà, le titre de l’album Apnea a découlé de cette rencontre. Il y a aussi le morceau Petit Matin qui a été directement inspiré par ma rencontre avec Arthur, avec sa couleur profonde et ses sonorités filtrées. On s’imagine bien sous l’eau avec ce morceau.
M. : À quand un live sous-marin de l’album ?
NTO : Figure-toi qu’on y a pensé. On s’est dit que ce serait génial de le faire avec des caméras sous l’eau, et moi dans le sous-marin que l’on voit à travers le hublot. Peut-être un jour, ce serait génial.
M. : Il y a aussi cette définition de l’apnée lue sur l’hypnotique single qui donne son nom au disque. Quelle est la voix que l’on entend ?
NTO : C’est ma femme. Elle lit une définition de l’apnée et de la narcose (appelée plus couramment ivresse des profondeurs, ndlr) avec sa voix qui occupe tout l’espace et des sonorités derrière. Elle ouvre l’album. Il y a aussi un morceau pour mon père qui s’appelle Marlon, un autre que j’ai fait avec mon frère qui s’appelle Zig Zag, et d’autres singles pour mes enfants qui s’appellent Concentrate, The Kid and the Planes et Paul.
M. : Ta famille en treize titres, en quelque sorte.
NTO : Sur chaque morceau, il y a une histoire avec quelqu’un. Même les collaborations, ce sont des histoires humaines. Je me rends compte qu’il n’y a aucun morceau isolé : soit il est fait avec quelqu’un, soit je l’ai dédié à quelqu’un. J’aime beaucoup cette idée.
M. : Parmi toutes les rencontres, il y a celle complètement folle et inattendue avec Paul Kalkbrenner. J’ai forcément envie d’en savoir un peu plus…
NTO : On voulait créer des ramifications autour du single Invisible. Il y avait déjà une collaboration avec le pianiste Sofiane Pamart, le clip réalisé par Jean-Charles Charavin (d’Incendie Films, ndlr), et il fallait trouver des remixeurs pour faire exister le track au-delà. Mes managers m’ont demandé qui j’aimerais avoir, et je sortais des noms d’artistes. Et puis au bout d’un moment, ils me disent : « Vas-y, envoie des noms qui font rêver. » Là, je leur dis Al Green, Michael Jackson, Georges Brassens et Kalkbrenner au milieu. Ils ont pris contact avec son manager, et une semaine plus tard j’avais sa validation.
M. : C’est donc comme ça qu’on dégote une collaboration avec le grand Paul K.
NTO : Oui (rires). Il y avait quelque chose de simple et très humain qui s’est passé, sans aucune bataille d’ego ni de business. Il est tellement loin maintenant, il n’a plus rien à prouver, Berlin Calling c’était il y a 14 ans (le film et la BO qui ont révélé Paul K à l’international, ndlr). Il m’expliquait qu’il a juste envie de projets qui le stimulent musicalement. Il est même venu sur le clip du remix d’Invisible qu’on a tourné avec Incendie Films, avec des danseuses au milieu d’une cité, et où on a fait un caméo. On a passé la journée et la soirée ensemble, c’était mortel.
M. : Tu me racontais en off qu’il t’avait inspiré il y a 12 ans ?
NTO : Il y a douze ans, voire un peu plus que ça, c’était mes débuts dans l’électro, les premières fois où j’ai commencé à en écouter, mes premières soirées, quand j’ai commencé à sortir vers Montpellier, vers Marseille. J’allais au Bar Live, qui hébergeait les afters les plus connus du sud de la France. Tous les grands DJs allemands et internationaux passaient là-bas, et Paul K je l’ai vu un paquet de fois à l’époque, comme Stephan Bodzin ou James Holden. C’est super cool de se dire que douze ans plus tard, tu peux inspirer quelqu’un qui t’a donné envie de faire de la musique.
M. : Habituellement, tu fais peu de collaborations. Quand je dis habituellement, je parle de l’avant Apnea.
NTO : C’est vrai, alors qu’il y en a quatre en tout sur l’album. Ça part d’une impulsion artistique et très souvent j’envoie un message à l’artiste, comme pour Monolink. Je connaissais sa musique et il connaissait la mienne, mais on ne s’était jamais parlés. Quand je lui ai dit que je voulais un track vocal sur mon album, il m’a répondu qu’il écoutait ma musique depuis un moment. Tu vois, ce qui est cool, c’est que d’artiste à artiste il y a quelque chose de spontané qui se crée immédiatement.
M. : Il y a French 79 aussi qui vient de Marseille.
NTO : Pareil, il m’écoutait auparavant, on s’était vus sur quelques soirées, on était sur Marseille tous les deux, et on s’est dit : « Faisons quelque chose tous les deux. » Ça a été hyper simple.
M. : Sinon, comment tu adaptes tes morceaux pour le live ?
NTO : J’ai toujours en tête le moment où je vais jouer les tracks quand je les crée. Ça, c’est obligatoire. Mais j’essaie aussi de faire en sorte que ça n’influence pas trop la composition. Au contraire, je me dis qu’il faut qu’on puisse l’apprécier les nuances des morceaux au casque. Très souvent, je fais des versions live des morceaux. Je conserve les parties importantes comme la nappe, la basse et la mélodie, et je repense une structure plus calibrée pour le dancefloor. J’aime bien l’idée que les gens qui me suivent et qui m’écoutent puissent apprécier une autre version des morceaux en live.
M. : Ma toute dernière question est : quelle est ta définition d’un artiste ?
NTO : (NTO est bouche bée, on se regarde un court moment. On rit aux éclats.) Pour moi, c’est quelqu’un qui a ce besoin en lui mais qui ne le conscientise pas. C’est comme dans un jeu de Taquin, l’artiste a une case vide en lui qu’il essaie de combler, en disant ce qu’il a à dire autrement.