Son avidité pour l’écriture et son gros penchant pour la…
Autrice et réalisatrice, spécialisée dans la pornographie féministe, Olympe de Gê était l’une des nombreux.ses invité.e.s exceptionnelles de la 29ème édition de l’Etrange Festival. A l’occasion de sa carte blanche, elle a notamment abordé sa vision du sexe au cinéma. Nous avons aussi parlé de l’industrie cinématographique et de ses envies pour la suite. Il serait peut-être temps de décloisonner le porno pour le rendre plus éthique.
Anaïs Delatour : Si je ne me trompe pas, tu connais déjà L’Etrange Festival car l’un de tes courts métrages, Don’t Call Me A Dick, y avait été projeté en 2018 ?
Olympe de Gê : Exactement. D’ailleurs, j’avais été hyper impressionnée quand ils m’avaient contacté parce que je me retrouvais dans un festival non consacré au porno. C’est de cette manière que j’ai découvert le festival.
A.D. : Et aujourd’hui, toujours impressionnée de faire partie des cartes blanches de cette année ?
O.d.G. : Je suis de nouveau un peu impressionnée d’être là. Je ne me définis même pas comme une cinéphile. J’ai même essayé de négocier pour repousser ma carte blanche d’un an en me disant que j’allais avoir toute une année pour trouver des trucs à montrer. Là, j’avais 15 jours pour faire la programmation, je croulais sous le boulot, j’avais l’impression que je n’allais jamais y arriver. En fait, je me suis rendue compte que j’avais assez d’idées. Et heureusement car l’Etrange Festival m’a proposé trois soirées au lieu d’une ! Mais, je suis très flattée.
A.D. : Et d’autant plus dans un festival de cinéma de genre où on ne te fait pas seulement parler de porno j’imagine.
O.d.G. : Mais oui, parce que le porno est souvent très cloisonné du reste du cinéma. Avec ce que je fais, on me fait habituellement parler de porno et non de films, de cinéma. Je me sens inclue dans un milieu auquel j’ai la sensation de ne pas appartenir. C’est chouette !
A.D. : On te connaît effectivement dans le registre de la pornographie féministe mais es-tu amatrice de films de genre ?
O.d.G. : Je n’ai pas une passion pour les films d’horreur mais j’ai toujours apprécié les films bizarres. Après, je n’ai pas vraiment une bonne culture cinématographique et j’ai du mal à étiqueter les films. J’aime bien quand on m’emmène hors des sentiers battus. C’est aussi ce que j’essaie de faire dans le porno.
A.D. : Comment as-tu fait pour choisir les films et les documentaires de ta carte blanche ?
O.d.G. : J’ai commencé par me demander ce que j’avais envie de partager puis j’ai essayé d’en sortir des thématiques. J’avais vraiment un foisonnement d’envies ! Si je n’avais dû garder qu’un seule soirée, j’aurais gardé celle sur comment bien filmer le sexe parce que c’est ce que je voulais montrer au public et je trouve que c’est un sujet de conversation crucial. Les deux autres soirées soulèvent évidemment aussi des questions intéressantes, notamment celle de pourquoi on déconnecte autant le sexe de l’affectif. On peut carrément avoir envie de faire du sexe et de partager des émotions ! Ce n’est pas incompatible. Et ça fait du bien de le rappeler. Finalement, tous les sujets que j’aborde résonnent beaucoup avec mon histoire personnelle et mon cheminement de pensée.
A.D. : Alors, comment bien filmer le sexe au cinéma ?
O.d.G. : Il n’y a pas encore de réponse bien établie car on commence seulement à se poser la question collectivement et à essayer d’y travailler. Se poser la question est déjà un bon départ. Pour ma part, je pense qu’il faut réussir à sortir de la production comme étant cet espèce de truc qui sacralise l’objet film dans lequel il faudrait tout donner, tout sacrifier. Aujourd’hui, on a cette mentalité selon laquelle le film est le Graal qui justifie que l’on se fasse violence, en particulier au niveau de la direction d’acteurs.
A.D. : C’est-à-dire ?
O.d.G. : Les acteurs sont dirigés de manière à ce que surgissent chez eux de vraies émotions pour que l’image soit « belle ». J’ai l’impression qu’il y a pas mal de mythes qu’il faut déconstruire sur la manière dont on fait des films, dont celui-là. Il faudrait revenir à un truc plus ouvrier. Ce serait chouette de se dire que l’on va prendre du plaisir comme on va travailler ensemble pendant des semaines et que personne n’en ressorte traumatisé ! Le cinéma est une équipe et c’est elle qu’il faudrait davantage valoriser. On pourrait faire du cinéma comme on va au bureau.
A.D. : C’est un travail que tu as fait toi, en tant que réalisatrice et/ou comédienne ?
O.d.G. : Oui, complètement. Sans faire partie du cinéma, c’est un travail que j’ai fait dans les clips que j’ai tourné. J’avais tendance à surcompenser en jouant la guerrière, d’autant plus en tant que femme dans un univers masculin puis je me suis mise à privilégier le process de fabrication au lieu du résultat. Je veux croire que si le chemin pour arriver à un film a été beau, le film le sera tout autant.
A.D. : Comment adapter cette manière de faire des films à la pornographie ?
O.d.G. : Quand tu fais d’une scène intime une chorégraphie, c’est-à-dire quand tout est bien scripté, tu peux la répéter autant de fois que tu veux en limitant l’usure. Alors que si tu attends que l’émotion jaillisse, tu peux rater ton plan et c’est plus fatiguant pour les acteurs d’y retourner. C’est pour cette raison que mes scènes de sexe sont très écrites. En plus, ce n’est pas parce que c’est du sexe qu’une scène ne peut pas faire avancer l’histoire ou donner de la profondeur aux personnages. Et cela permet aussi de parler du consentement.
A.D. : Parce que de cette manière, les acteurs et actrices savent exactement ce qu’iels doivent tourner donc iels sont en capacité de dire « non » ?
O.d.G. : Oui. On se met d’accord en amont, les acteurs ont le temps d’y réfléchir, en sachant que même s’ils ne le sentent pas le moment venu, ils peuvent toujours le dire. Mais il est plus facile de parler en amont de ce qui va se passer dans une scène. L’improvisation et la spontanéité ne le permettent pas. Mais il y a toute une école du porno qui dit l’inverse.
A.D. : Cette carte blanche t’a-t-elle donné envie d’explorer un genre un peu hybride, à la frontière entre le porno et le fantastique ou l’horreur par exemple ?
O.d.G. : Ouais carrément ! Enfin, pas tout à fait… Je rêve depuis longtemps de faire un porno comédie musicale.
A.D. : Je ne m’attendais pas à ça !
O.d.G. : Je ne suis pas très horreur, je n’aime pas avoir peur en fait donc une comédie musicale, c’est bien. J’aimerais tellement voir des mecs qui dansent avec la bite à l’air !
A.D. : Comme on est quand même à L’Etrange Festival, quel est le film le plus étrange que tu as vu dans ta vie ?
O.d.G. : Je n’ai pas le souvenir d’un film en particulier mais j’ai le souvenir d’un moment très étrange lié à un film. J’avais une vingtaine d’années, j’étais étudiante en histoire de l’art et il y avait un mec que j’aimais bien. Je l’amène chez moi mais avant, on s’arrête dans un vidéoclub. C’était un plan Netflix and chill mais avant Netflix. Il y avait un film qui venait de sortir avec Béatrice Dalle, Trouble Every Day, dans lequel elle était cannibale et elle mangeait ses amants. Et moi, j’avais une fascination assez érotique pour le sang et la figure de la mante religieuse, qui me sont complètement passées depuis. Donc je mets la cassette et je commence à dire que j’aime ça, sauf que le mec a tellement flippé qu’il s’est barré avant la fin du film ! Il a peut-être cru que j’allais le manger ! Bon, je peux le comprendre, ce n’était sûrement pas la bonne cassette pour un premier rendez-vous (rires) !