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Critique : Portrait de la jeune fille en feu, la peinture brûlante d’une révolte amoureuse

Critique : Portrait de la jeune fille en feu, la peinture brûlante d’une révolte amoureuse

Marin Woisard

Pour son quatrième long métrage, Céline Sciamma s’attaque à l’exercice périlleux du film en costumes où brûle la flamme d’un amour interdit. Cette romance féministe est l’occasion de retrouver sa muse de toujours, Adèle Haenel.

Si on mesure la puissance d’un film aux litres de larmes qu’il nous tire, Portrait de la jeune fille en feu est un chef d’œuvre. En vrai, pas loin. C’est déjà notre hit préféré de Céline Sciamma, pari loin d’être gagné après les éclatants La Naissance des Pieuvres (2007) et Tomboy (2011). D’autant que son Portrait de la jeune fille en feu partait grand perdant avec une bande-annonce en mode romance secrète mais éperdue, regards éperdus mais secrets, film perdu qui restera secret. On avait tout faux. Céline Sciamma infuse longuement un doux sérum, qui nous obscurcissant les yeux et nous tirant des frissons, ressemble de très près à un shot d’émotion.

À Cannes où le métrage était en compétition officielle, les journalistes sortaient de la salle en tapant leurs derbies noires satinées contre les marches, sonnés par la charge de désir qu’ils venaient de se prendre. Nous avec eux. À voir le spectacle qui se jouait dans la salle, on ne savait plus trop s’il fallait rire ou pleurer. Tout le monde s’accordait sur un Grand Prix ou un double Prix d’Interprétation Féminine. Ce ne sera que le Prix du Scénario. Injustice incompréhensible au regard de cet amour vibrant davantage porté par ses actrices éclatantes et une réalisation épurée qu’un script particulièrement alambiqué. Parlons-en justement.
Au XVIIIème siècle, rien n’est franchement simple. Encore moins lorsque le seul acte de résistance face à un mariage arrangé est de refuser le portrait destiné à un lointain mari milanais. Héloïse (Adèle Haenel) se braque. Sur la petite île bretonne où elle est recluse avec sa mère (Valeria Golino), la jeune femme tient contre vents et marées. Jusqu’à ce qu’arrive la peintre Marianne (Noémie Merlant) qui doit épier la promise pour reconstituer son portrait. Chemin faisant, une relation se tisse. Marianne regarde Héloïse pour peindre les courbes de son visage, Héloïse rend son regard à Marianne plein de rêves de liberté. La petite flammèche est la promesse d’un grand brasier.

En 1770, la Révolution gronde aux portes de Versailles mais une autre révolte se joue en Bretagne. Silencieuse, celle-ci. Céline Sciamma présente une époque où les destins sont scellés d’avance : quand on sort du couvent, c’est pour être mariée. Par la modernité de ses personnages, la réalisatrice fait sauter les verrous du patriarcat dans une passion lesbienne brûlante. Le poids des conventions impose une tenue qu’Adèle Haenel et Noémie Merlant interprètent avec une grande finesse, rendant crédible leur partition, et par elle leur émancipation. La gestuelle parcimonieuse, le rythme du phrasé, les souffles corsetés : l’épure du jeu parvient à nous rendre sensoriels les premiers émois amoureux.

Céline Sciamma a fait des relations homosexuelles une thématique récurrente de son cinéma. Mais rarement avec une telle justesse. Déjà, en renversant le male-gaze traditionnellement associé à la stature dominante du peintre. La modèle n’est plus assujettie à la pose, elle seule décide de s’asseoir face à la toile. En associant art et amour, la réalisatrice enrichit la tension dramatique d’un double enjeu. Céline Sciamma prend surtout le parti d’une réalisation discrète loin des froufrous pop du Marie-Antoinette de Sofia Coppola (qu’on adore). Chaque plan devient prétexte à de fascinantes compositions romantiques où la sérénité n’est qu’apparente. Car là se cachent des éléments déchaînés où battent deux cœurs à l’unisson.

Habituellement, les films en costume ne sont pas notre tasse de thé… Encore moins quand il faut la boire en Bretagne. Faute de places pour le dernier Tarantino, on était entré presque par dépit à la séance du Festival de Cannes. Grand bien nous en a pris. On en est sorti complètement chamboulé. Tonton Arty te donnera un dernier conseil, celui de ne pas regarder la bande-annonce, véritable spoiler ambulant qui dévoile les plus belles séquences du film en deux minutes tambour battant, là où deux heures sont nécessaires pour que le charme agisse. Finalement, notre seule crainte serait que le film ne trouve pas son public alors que son message est universel. Moi, parisien, hétérosexuel, enfant du XXème siècle, j’ai pleuré toute les larmes de mon corps face à cette grande romance lesbienne en costumes.

PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU

De Céline Sciamma
Avec Adèle Haenel, Noémie Merlant, Valéria Golino

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