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Daft un jour, Punk toujours

Daft un jour, Punk toujours

Marin Woisard

Tout a une fin, même le plus immortel des duos français.

On les croyait éternels sous leurs masques métalliques, voués à rejoindre l’Athénée des dieux de l’électro, sans ne jamais subir les marques du temps. Dans une vidéo de huit minutes, le sol s’est ouvert et tous nos espoirs se sont effondrés. La fin aura été fidèle à la pudeur casquée de leur carrière, sobre et grandiose, sans un mot.

Daft Punk vient de se séparer après 28 ans de bons et loyaux services. Une question demeure : pourquoi ?

Après 28 ans de bons et loyaux services, les Daft Punk se tournent le dos

Deux producteurs discrets, une fois le masque tombé

Paradoxalement, les fantômes casqués de la French Touch n’avaient jamais été aussi vivants après la découverte d’une mixtape vieille de vingt-cinq ans et la réédition de leur BO de Tron (2010) par Disney. Les rumeurs allaient bon train sur leur retour en studio pour le successeur inespéré de Random Access Memories (2013), quand d’autres gorgés d’espoir prédisaient leur apparition surprise aux côtés de Bruno Mars à la mi-temps du Super Bowl. Comme toujours avec le duo casqué, personne ne se doutait du drame qui se tramait en secret. Loin de toute effervescence médiatique, le couple de robots a mis un terme à une bromance sous cloche vieille de 28 ans.

Loin de la frénésie planétaire entourant leur projet, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo (dit Guy-Man) ont toujours été deux garçons discrets. On pouvait apercevoir de temps à autre les cheveux frisés (souvent ébouriffés) de Thomas dans quelques soirées branchées, quand il n’apparaissait pas incognito dans l’absurde long-métrage Réalité de son ami Quentin Dupieux. Passionné de cinéma et menant une vie paisible avec sa compagne l’actrice Élodie Bouchez, l’artiste a entamé une collaboration au long cours avec Gaspar Noé en signant la BO d’Irréversible en 2002 et deux titres pour celle de Climax en 2018. Guy-Man, de son côté, a enchaîné les collaborations avec plusieurs têtes de gondole de l’écurie française Record Makers, dont Sébastien Tellier pour Sexuality et My God Is Blue et Kavinsky pour son EP Nightcall. La séparation des Daft Punk est la concrétisation d’un désir d’indépendance qui ne date pas d’hier.

Au summum de leur carrière en 2014, les Daft Punk remportent cinq Grammy Awards dont celui de Meilleur album de l’année et Meilleur enregistrement

Des raves techno à la consécration des Grammy Awards

Comment un duo de producteurs underground versaillais a pu se hisser au rang de mythe intergénérationnel ? Immergés dans la culture techno des années 90, les deux garçons rencontrent une nuit de 1993 dans une rave à EuroDisney les dirigeants du label écossais Soma, structure confidentielle où ils signent leurs premiers succès Rollin’and Scratchin’ et Da Funk. Bien que grandissant, leur succès se limite alors à la scène indépendante, en particulier anglo-saxonne, et c’est à Londres qu’ils ouvrent le concert de l’emblématique duo Chemical Brothers. La sauce commence à prendre, mais tout se concrétise aux TransMusicales de Rennes quand la major française Virgin leur propose de rejoindre la compilation techno Sourcelab vol.2. La machine à hits est lancée.

De 1997 à 2013, Virgin et les acolytes masqués ne se quittent plus. Il faut dire que le deal est avantageux : Bangalter et Guy-Man sont libres de faire les choses comme ils l’entendent, financent tout par eux-mêmes pour garder le contrôle, mais profitent de la force de distribution de la maison de disques. Sur ce modèle, trois albums sortent : Homework qui démocratise une techno groovy ponctuée d’influences rock, Discovery et sa disco revisitée en hommage aux disques de leur enfance, Human After All qui met définitivement le monde sur le dancefloor. Pour leur quatrième opus Random Access Memories, les robots français rejoignent le label américain Columbia (Sony), s’entourent de Pharrell Williams, Nile Rodgers et Giorgio Moroder, raflent 5 Grammy Awards et écoulent 2,4 millions d’exemplaires à travers le monde. L’histoire est écrite.

Malgré le plébiscite public, les critiques n’ont pas été tendres avec Human After All (2005) et Random Access Memories (2013)

Le mythe des « punks débiles »

Leur succès foudroyant ne s’est pas fait sans contrariétés. Dès leurs premiers pas en 1992 sous le nom de Darlin’, le magazine britannique Melody Maker qualifie leur son de « daft punk », à traduire par « punk débile ». Quel plus beau pied de nez que de détourner la critique cinglante pour en faire un nom de scène. Parfois, c’est même au gré de profondes remises en question que les Daft Punk déroutent et essuient des attaques cinglantes. En 2005, il est reproché à leur troisième album Human After All son sampling conférant au plagiat (Robot Rock), sa construction répétitive et ses messages simplistes (Television Rules the Nation). Avant de mettre tout le monde d’accord lors de la tournée révolutionnaire d’Alive en 2006/2007. Le tandem casqué y invente tout simplement le live moderne.

Nombreux ont été leurs albums conspués avant d’être idolâtrés. Random Access Memories, leur dernier opus en date, n’a pas échappé au règne sauvage de la critique. Pourtant, les Daft Punk se révolutionnent en abandonnant les samples au profil d’instrumentaux, remettent au goût du jour la disco et la funk des années 70, s’émancipent de l’étiquette électro qui leur collait à la peau. Derrière le succès populaire et commercial sans précédent, les deux robots avancent camouflés en étant ni conformes aux attentes du milieu underground dont ils sont issus, ni dans le moule du star-system où ils évoluent désormais. La zone trouble et indéfinie où navigue le duo participe à forger leur mythe et leur laisse toute l’amplitude pour agiter les dancefloors, marquer l’industrie de la pop et fédérer une fanbase fidèle toutes générations confondues. Ce que personne n’avait réussi avant eux.

À 17 et 18 ans, les Daft Punk ne portaient pas encore leurs masques. C’est entre leurs deux premiers albums (Homework, 1997, et Discovery, 2001) que les deux pionniers de la French Touch ont adopté leur attirail métallique

Humains après tout

Pour se protéger au fil de (rares) apparitions publiques qui embrasent la toile, le visage des deux producteurs est resté inconnu du grand public – malgré des fuites inévitables. Sous les combinaisons brillantes et les masques métalliques, Bangalter et Guy-Man gardent la main sur leur vie privée : « Créer ces alter-egos robotiques leur permet de rester humains, d’avoir les pieds sur terre et d’être totalement libres. Ils ont acheté leur liberté en envoyant les robots faire leur sale boulot. » confie l’ex-rédacteur en chef des Inrocks, Jean-Daniel Beauvallet, dans le documentaire Daft Punk Unchained en 2015. Pedro Winter, l’ancien manager du duo masqué, ajoute en complément que « c’est un rejet, un positionnement philosophique. » De quoi séparer tumulte public et quiétude privée.

Fuir les tapis rouges est aussi une manière d’entretenir le mystère. Dans une rare interview accordée au média américain Pitchfork, Thomas Bangalter confie que « lorsque l’on connaît les secrets d’un tour de magie, c’est trop déprimant », avant de marquer sa volonté de garder les pieds sur Terre pour mieux élever sa musique : « Nous ne parlons pas de nos vies privées parce qu’elles sont privées. Et l’image publique est plus marrante et divertissante de toute façon. » Une situation qu’il compare à celle d’un employé de Disneyland déguisé en Mickey: « Si vous êtes avec 100 gamins autour de vous toute la journée, vous n’allez pas prendre la grosse tête ? » L’image résonne étrangement avec les débuts des Daft Punk en 1993 dans une rave à EuroDisney… La boucle est bouclée.

Le poids d’un succès international, le revers d’une critique acerbe et le désir d’une vie privée sont sans doutes plusieurs facteurs ayant contribué à la séparation des robots les plus idolâtrés de l’univers. Le fossé béant entre l’image publique des stars casquées et la discrétion des deux producteurs a sûrement eu raison du groupe. Par la musique à l’image et des collaborations à échelle humaine – sur la scène parisienne, le duo en solo y trouvera sûrement davantage son compte une fois le ramdam médiatique passé. Thomas Bangalter et Guy-Man restent des producteurs de génie, avec ou sans casques

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