Promenons-nous dans les bois avec « Teddy » des frères Boukherma
En attendant de s’installer en Islande entourée de ses films…
Les jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma récidivent : voici Teddy, le film du week-end. On avait rarement vu un tel film de loup-garou, et on t’explique pourquoi.
Dans les Pyrénées, un loup attise la colère des villageois. Teddy, 19 ans, sans diplôme, vit avec son oncle adoptif et travaille dans un salon de massage. Sa petite amie Rebecca passe bientôt son bac, promise à un avenir radieux. Pour eux, c’est un été ordinaire qui s’annonce. Mais un soir de pleine lune, Teddy est griffé par une bête inconnue. Les semaines qui suivent, il est pris de curieuses pulsions animales…
Teddy contre-attaque
Teddy, c’est un jeune garçon un peu mis à l’écart. Ses parents sont absents, son oncle et sa tante sont fous et lui-même est un peu étrange. Il partage ses journées entre le salon de massage – où la directrice un peu fantasque le dévore des yeux – et sa copine, jeune adolescente comme toutes les adolescentes (fête, bac et appareil dentaire), n’a d’yeux que pour lui. Teddy n’est pourtant pas si heureux, car il est marginal. Etrange. « Difficile ». Il a une réputation, et sa famille aussi. Teddy n’est pas au lycée, et il est la risée des jeunes de son village. Teddy se fait frapper. Et parfois humilier. Et Teddy est frustré et en colère. Or, un jour, il se fait griffer par un loup ; alors, son oncle lui raconte des histoires étranges, celles d’un monstre qui vit dans la région. Et petit à petit, Teddy à l’impression de changer – et il commence à rendre les coups.
Le loup-garou devient alors une idée qui plane, qui hante l’esprit des personnages, mais dont la réalité reste longtemps ambiguë au sein du film. Cette idée devient l’exutoire de la colère de Teddy, elle matérialise sa frustration, sa vengeance ou encore sa violence. La transformation du loup résonne également avec les transformations adolescentes. Au-delà du lien monstre/hormone qui, bien qu’adéquat, n’a pas tellement sa place dans le film, il s’agit plutôt des transformations de vie, la passage à l’âge adulte et le désir de faire entendre sa voix trop souvent réduite au silence. La dualité de l’homme et de la bête s’exprime pleinement dans le film, qui pense l’attrait de la violence et le plaisir de la colère avec subtilité.
À la campagne, personne ne vous entendra crier…
Cet attrait du bestial, de la violence qu’expérimente le personnage résonne avec celui que nous, spectateurs, ressentons également à travers la recherche esthétique gore du film. En effet, celle-ci est maîtrisée avec brio. Le gore n’existe seulement parce qu’il se fait désirer, comme l’érotisme. Il est l’art de montrer peu pour sous-entendre plus. On y voit jamais rien, mais on veut en voir toujours plus : le film joue sur la pulsion scopique du spectateur, afin qu’on ne puisse plus détourner les yeux de l’image, pour qu’on soit fasciné par la violence qu’on y devine.
D’ailleurs, les deux frères cinéastes s’amusent à piocher dans les motifs des films de genre, encore trop absents de l’horizon de notre cinéma français (mais ça arrive, doucement et pour le mieux). Ils nous offrent ici un mélange entre le film de loup-garou, le film d’horreur, et le teen-movie, tout en conservant une liberté artistique qui n’a de cesse de nous surprendre. Chaque motif est pensé avec intelligence et subtilité, et l’image, parfaitement maîtrisée, trouve une balance franchement surprenante entre le cinéma d’auteur « à la Dumont » et un kitsch assumé. Et ça marche. Et on aime.
Enfin, les acteurs, certains professionnels et certains amateurs, sont parfaits dans leur rôle. Le jeune Anthony Bajon (Teddy) est quant à lui bluffant, et offre une performance incroyable dans un rôle assez difficile, avec un style amateur, et une rigueur, une justesse professionnelles. Les acteurs parviennent à recréer l’ambiance des petites villes de campagnes, leurs regards insistants, leurs différences et leurs jugements ; le film nous fait changer d’horizon en créant le paysage parfait pour ce film de genre français. En bref, Teddy étonne. Les frères Boukherma proposent ici un film maîtrisé, drôle, divertissant et intelligent, qui bouscule nos horizons, ceux des paysages comme ceux des genres, avec un style vraiment personnel et prometteur.