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Home Ciné #21 : la parenthèse enchantée de « The Grand Budapest Hotel »

Home Ciné #21 : la parenthèse enchantée de « The Grand Budapest Hotel »

Roxane Thene

Pendant toute la durée du semi-confinement et des salles fermées, Arty Magazine te propose ses Home Ciné, un lieu convivial où nos rédacteurs et journalistes présenteront leurs films préférés. Ceux qu’ils ont vu à 6 ans, qu’ils ont découvert suite à leur première rupture amoureuse, qu’ils dévorent avec un paquet de chips chaque dimanche soir depuis dix ans… Bref, tous ces films de leur vie qu’ils souhaiteraient te faire découvrir, là, maintenant.

Aujourd’hui, Roxane nous présente The Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson, 2014.

On retrouve les lubies à la limite du psychorigide du réalisateur : narration en voix off, travelling latéraux à profusion, plans larges avec zooms bien serrés. Aucun doute, le film porte l’empreinte esthétique de son auteur dès les premières secondes

La maîtrise totale et absolue d’un style inimitable

The Grand Budapest Hotel est le huitième long métrage de Wes Anderson et demeure à ce jour sa réussite absolue, lui qui témoigne à chaque nouvelle oeuvre d’un art visuel si personnel. L’excellence d’un accomplissement obsessionnel et soigné est ici conduit à terme grâce à une loyauté sans faille envers son propre idéal cinématographique. Le cinéaste accède à un tel niveau de virtuosité et de maîtrise, lui légitimant dès lors de jongler sur un nombre considérable de vitesses et de techniques au cœur même des plans. Puisque Wes Anderson, c’est avant tout une beauté picturale singulière où chaque décor, chaque couleur, chaque plan est continuellement ordonné avec une finesse frénétique et quasi maladive.

C’est ainsi que de dates en dates, d’aventures en aventures, on navigue d’une situation à l’autre, de témoignage en témoignage. Le spectateur ne semble plus savoir où donner de la tête, contemplant ce programme considérable et pourtant si cohérent. Néanmoins, il paraît impensable de s’y perdre tant les codes, les variations de format d’image et les changements de narrateur, produits par des choix si artistiques et idéaux, ne permettent aucun doute sur les périodes exposées. Si Wes Anderson manœuvre toujours entre comédie et sérieux, il l’entreprend avec une aisance révolutionnaire rendant ses transitions insaisissables. Le film est de ce point de vue un chef d’œuvre d’action burlesque : on y confronte délicatesse, savoir-vivre, courtoisie d’une époque disparue avec atrocité et haine grandissantes. On y tire, habilement, le portrait d’une civilisation et l’anéantissement d’un ancien temps. Car pour des êtres civilisés, l’aversion du fascisme se passe d’arguments, elle est viscérale et instinctive.

C’est Johnny Depp qui devait initialement interpréter le rôle principal du concierge-voyou Gustave H. Finalement, l’acteur britannique Ralph Fiennes prendra sa place

Des sujets profonds abordés avec désinvolture

Le réalisateur y aborde également des thèmes qui contestent sa supposé frivolité : la conscience du temps qui passe, la valeur accordée aux objets et aux êtres humains, l’avenir et la tradition ; le tout abordé avec désinvolture, au détour d’un personnage incarnant à lui seul la suffisance. Quant au contexte historique, il est divers et changeant, chaque époque désignant un format d’image distinctif, du Cinémascope pour les années 60 jusqu’au 4/3 presque carré pour les années 30. Toutefois, le film n’est pas seulement fait de spleen et d’humour, il est survolé d’un vent dramatique : le cinéaste, qui signe son film le plus violent en évitant de front les atrocités du nazisme, nous les rappelle par ruses détournées. Et si Wes Anderson s’identifie tant à M. Gustave, c’est qu’il lui partage la même amertume d’assister, impuissant, aux fléaux à venir.

Bonus mélomane : la musique d’Alexandre Desplat garantit au film sa régularité et son dynamisme. La bande son est absolument conforme à l’ambiance du film, des rythmes jazzy irrésistibles et des mélodies plus poétiques, composées exclusivement d’instruments d’Europe de l’Est, et dont le crescendo infernal de l’orgue est littéralement renversant. Une douceur pour cinéphiles dont on se délecte lentement.

THE GRAND BUDAPEST HOTEL
Réalisé par Wes Anderson
Avec Ralph Fiennes, Tony Revolori, F. Murray Abraham, Harvey Keitel, Adrian Brody, Jeff Goldblum
Disponible sur Orange, Canal VOD

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