« Wendy » et la magie du Pays Imaginaire
Il mène sa vie une manette à la main, absorbant…
Wendy, de Benh Zeitlin, réalisateur trop rare dans le paysage américain, est une œuvre empreinte d’une magie visuelle et atmosphérique. Peter Pan n’a jamais aussi bien (pas) porté son nom.
Élevée par sa mère célibataire, Wendy s’étiole dans un quotidien dénué de magie. Un soir, la fillette part à l’aventure en sautant dans un train en marche avec ses deux petits frères, les jumeaux James et Douglas. Au terme du voyage, ils débarquent sur une île mystérieuse, où les enfants ne semblent pas vieillir et où règne un garçon rebelle, nommé Peter Pan.
I’m going for an adventure !
La carrière de Benh Zeitlin est courte mais déjà tellement riche. Son premier long, Les Bêtes du sud sauvage, dynamisait les Oscars en 2013 avec 4 nominations dont celle de la Meilleure actrice pour Quvenzhané Wallis, alors âgée de 9 ans. Wendy, qui revisite à sa manière l’histoire la plus connue de l’écossais J. M. Barrie, pourrait logiquement suivre la même trajectoire enchantée. Le film n’est rien de moins qu’extraordinaire, pour tout adulte qui n’a pas perdu cette petite flamme au fond des yeux, ravivée à chaque fois que le mot « aventure » est prononcé quelque part dans le monde.
Si Peter Pan a touché des milliers de générations depuis sa première apparition en 1902, il était grand temps de raconter son histoire du point de vue de Wendy, leur maman dans le livre qui devient ici le moteur de l’action, la plus curieuse des trois Darling, une boule d’énergie à bouclettes poussant sans cesse ses frères à la découverte de l’ailleurs. Wendy est une héroïne volontaire, acharnée, que Benh Zeitlin suit caméra portée sur une île volcanique dirigée d’une main de fer par un Peter déterministe et autoritaire. Le réalisateur a réuni une équipe semblable à celle de son premier long métrage, portée d’abord par sa sœur Eliza, chef décoratrice de génie qui a su habiller le Pays Imaginaire comme s’il ne l’était pas.
Sweet child o’mine
À l’instar des Bêtes…, Wendy suit les pas d’une fillette et nous dévoile son rapport au monde, toujours du point de vue de celle-ci. La cruauté des enfants, leur rapport au jeu, l’insensibilité des adultes, les déambulations exploratoires, le pouvoir des croyances aveugles ; Wendy est probablement la plus belle adaptation d’un Peter Pan qui ne s’érige pas en héros. Le film cristallise à merveille cette période pré-adolescente que l’on souhaiterait sur le moment éternelle, car totalement déconnectée du réel. Tout y est superbement suggéré, sans jamais directement se référer au conte de Barrie et ses différentes itérations. Un plaisir enfantin s’installe confortablement à la découverte de l’île et de ses habitants, progressivement gagnés par cette peur irrationnelle dont il ne faut pas prononcer le nom : Grandir.
Wendy a été conçu comme un véritable voyage, marqué d’abord par le passage du train quotidien dont la destination nous échappe, ensuite par l’isolement insulaire dont il faudra malgré tout s’extirper. La bande son intense, aux accents parfois épiques, relate admirablement l’impression d’urgence qui assaille par moments la jeune héroïne et ses jumeaux de frères. Dans Wendy, une attention toute particulière est portée aux détails, aux regards, aux silences. Le film est une véritable et authentique œuvre de cinéma, une passion faite images et sons, une adaptation absolument unique d’une aventure pourtant déjà tellement contée. Attention cependant : la magie n’opère que si cette petite lueur d’excitation malicieuse vit encore quelque part au fond de toi, même profondément enfouie.