« White Building », il faut bien que jeunesse se fasse
Professeur de lettres à ses heures perdues et inconditionnel du…
Prix Orizzonti du meilleur acteur à la 78e édition de la Mostra de Venise, le premier long-métrage de Kavich Neang, produit par Davy Chou (Diamond Island), sort enfin dans les salles françaises. Un voyage au Cambodge, martyr du capitalisme étranger.
Passionnés de hip-hop, Samnang et ses comparses aspirent à participer à un concours de danse. Pendant ce temps, ils errent dans les rues de Phnom-Penh pour gagner leur vie. Leur quotidien s’interrompt inopinément quand un membre du groupe doit quitter la ville et le White Building, un immeuble historique dans lequel vivent Samnang et sa famille, est menacé de destruction.
Une jeunesse incomprise
La scène d’introduction s’ouvre par un plan panoramique pris du ciel, volontairement langoureux, longeant le White Building nous permettant de saisir à la fois toute sa splendeur et ses murs délabrés, ses moisissures, le temps qui passe telle une peinture de Vanités. La contemplation s’interrompt brutalement. La caméra fixe des jeunes, sueurs au front, en pleine partie de foot. Kavich donne le ton : c’est de ce contraste générationnel dont il va être question.
Pour Samnang et ses acolytes, la journée, c’est répétition. Des pas de Hip-hop millimétrés. La nuit tombée, guidés par les néons fluorescents, pour certains, c’est rendez-vous sur la place, défilé de deux-roues, divertissement au karaoké et bières Angkor sur la table. Pour d’autres, dont nos trois protagonistes, c’est l’instinct de survie qui prime. Il faut alors démarcher d’un bar à un autre afin d’obtenir l’accord pour pouvoir danser et gagner son pain.
Le jeune réalisateur affirme inclure des éléments autobiographiques de manière à rendre le film plus réaliste. La structure scénaristique, aussi singulière soit-elle, se démarque par un contraste illustrant une jeunesse insouciante et naïve, et parallèlement des parents issus d’une éducation plus traditionnelle. Le rêve de Samnang – celui de participer à un concours de Hip-hop, est aussitôt interrompu par l’annonce de la destruction de l’immeuble et la maladie de son père. Le rapport entre la nouvelle et l’ancienne génération est fractionné – les jeunes n’ont pas le droit à la parole, les superstitions et les prières face à la réalité sont interrogées… Aussi curieux soit-il, la sphère temporelle dans laquelle nos protagonistes sont enfermés permet au réalisateur cambodgien de se remémorer les souvenirs enfouis, parfois nébuleux. La trame linéaire symbolise cette oscillation passé/présent et cette perte de repère spatiale, dont cette jeunesse est malencontreusement victime.
Un Cambodge maudit
Le schéma sempiternel « fuir pour survivre » que tente d’illustrer Kavich à travers son long-métrage nous questionne sur l’avenir du pays : le va-et-vient permanent entre le monde rural et urbain, et même au-delà des frontières du Cambodge : les habitants sont évacués contre trois francs six sous (la proposition est inférieure au prix démesuré de l’immobilier) ; la non-reconnaissance des anciens fonctionnaires et artistes victimes de la gentrification. La dimension émotionnelle et loachienne prend son essor quand le père de Samnang tente hardiment une augmentation avec les négociateurs et met sa maladie entre parenthèses. Le rescapé du White Building montre ce monde frappé par un contraste passé/présent et social flagrant, conséquence du phénomène de mondialisation.
Malgré un contexte social sombre, White Building se démarque principalement par la force de ses personnages d’une humanité lumineuse. Sa lenteur lancinante et lyrique est une opposition à ce développement frénétique auquel les personnages sont confrontés. Réaliser ce film a permis au réalisateur cambodgien de faire renaître le White Building de ses cendres.
Au même titre que Davy Chou, l’auteur de White Building rejoint cette nouvelle vague de jeunes artistes cambodgiens tentant hardiment un renouveau sans pour autant nier ce passé lourd et pénible que cette jeunesse n’a pas connu et, paradoxalement, tente d’oublier. Kavich Neang et Davy Chou incarnent manifestement ce symbole d’espoir et apportent à cette génération future un bain de jouvence.
Si tu as aimé les films de Davy Chou
Si le cinéma asiatique et/ou la culture cambodgienne te passionnent
Si tu aimes le cinéma social de Ken Loach
Si le cinéma conscient te laisse de marbre
Si les virées à trois sur un scooter te font peur
Si tu préfères les plans fixes dans ton salon qu'au cinéma